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traits de cette pièce avaient suffi pour faire éclater son humeur irascible. « La France ingrate, oubliant ses bienfaits, s’attachait à lui pour l’outrager… On oubliait quel poids il pouvait mettre dans la balance de l’équilibre européen… On oubliait qu’il pouvait se venger, et il se vengerait… » Il se posséda cependant assez pour ne point exhaler son dépit en présence de M. de Saint-Simon lors de la première audience qu’il lui donna après cet incident, mais on vit clairement quelle contrainte il s’imposait. Brodant sur son thème favori, il se plaignit seulement des trames qui s’ourdissaient en France pour troubler tous les pays de l’Europe, il insinua des doutes sur les bonnes intentions du pouvoir en France ; il parla de la nécessité d’une ligue des souverains, s’ils voulaient ne pas être victimes de ces manœuvres perfides. Il était facile de lire dans ses paroles et dans sa contenance une irritation qu’il s’était interdit de laisser éclater ; mais quelques jours après, à la suite d’un dîner au château de Rosendal, il prit à part, selon sa coutume, M. de Saint-Simon, et s’engagea dans une de ces longues conversations d’où il sortait rarement sain et sauf. Il parla d’abord avec calme et douceur même ; il dit ensuite qu’il voulait s’expliquer franchement sur le compte du gouvernement français et peut-être lui soumettre quelques avis… On était effrayé en Europe, assura-t-il, des tendances du gouvernement français. On craignait qu’il n’agît pas très ouvertement avec les puissances, qu’il ne jouât pas cartes sur table, et que, loin de vouloir anéantir le parti révolutionnaire, il ne fût disposé à l’entretenir secrètement comme un puissant levier dont il se servirait contre les cours quand il jugerait à propos d’avouer ses projets d’agrandissement. Les révolutions de Belgique, de Pologne, de Suisse et d’Italie étaient l’ouvrage d’une propagande favorisée par le gouvernement français et soldée par lui. Les démentis officiels ne prouvaient rien. On avait manifesté publiquement et officiellement des vœux pour des rebelles contre une puissance alliée. On avait prêté deux fois un secours armé à la Belgique contre son souverain légitime. On avait porté le drapeau tricolore en Italie pour soutenir l’espoir des révolutionnaires et neutraliser l’influence pacificatrice des troupes autrichiennes. Enfin des agens avaient été arrêtés en Suisse ; dont les papiers et la correspondance prouvaient qu’ils étaient secrètement dirigés et payés par le gouvernement français… Tout cela avait convaincu les puissances qu’elles devaient exiger de la France qu’elle renonçât à un système de déception et qu’elle donnât enfin des garanties à l’Europe… « Vous que j’estime comme un homme d’honneur, monsieur le duc, jureriez-vous que votre roi est parfaitement sincère quand il dit qu’il veut combattre les révolutions et la propagande ?… » Ces imprudentes paroles avaient été prononcées au commencement d’octobre 1833. Elles ne restèrent pas longtemps sans réponse. Vers les premiers jours de