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nomma une commission chargée d’examiner quelles seraient les mesures à prendre pour réformer de pareils abus. La commission, présidée par les deux cardinaux Vitellozzi et Borromée, arrêta les deux points suivans : 1° qu’on ne chanterait plus les messes et les motets qui contiendraient des paroles différentes de celles de l’église ; 2° que les messes composées sur des thèmes empruntés à des chansons profanes seraient bannies de la liturgie. Après de nombreuses discussions où furent émis les avis les plus extrêmes, la commission jeta les yeux sur Palestrina, qui s’était déjà fait connaître, et dont tout le monde citait les admirables improprii de la pénitence comme des modèles de musique vraiment religieuse. On lui demanda de composer une messe où les paroles de l’église seraient respectées et contenues dans une forme de l’art qui en révélât le sentiment. Saintement inspiré par la foi naïve qui remplissait son cœur et par l’importance de la mission dont on l’avait chargé, Palestrina composa trois messes qui furent exécutées au palais du cardinal Vitellozzi. Celle qui réunit tous les suffrages et qui excita l’admiration des juges les plus difficiles fut la troisième, que Palestrina publia sous le titre de messe du pape Marcel [missa papœ Marcelli), probablement par un sentiment de reconnaissance pour la mémoire de ce pontife. Lorsque le pape Pie IV entendit pour la première fois cette messe, le 19 juin 1565, il en fut si ravi, qu’il nomma Palestrina compositeur de sa chapelle. Telle est l’histoire d’une composition célèbre qui sauva l’art musical de la proscription dont voulait le frapper l’autorité ecclésiastique.

Si maintenant, continua l’abbé, vous me demandez quelle est la valeur absolue de l’œuvre de Palestrina, qui a touché à toutes les parties du drame liturgique, si vous me demandez de préciser en quelques mots le rôle que joue ce grand homme dans l’histoire générale de l’art, je vous répondrai qu’il est le premier musicien sorti des bancs de l’école qui ne se soit pas laissé entièrement absorber par les artifices du métier, et qui ait considéré la forme comme l’instrument de l’inspiration, qu’il est enfin le premier savant contre-pointiste qui mérite la qualification suprême de compositeur. Il ferme l’ère de la scolastique et ouvre celle de la renaissance, dont il n’entrevoit cependant que l’aurore. Élève et successeur des Flamands, qui avaient élaboré tous les détails de la langue et préparé l’instrument nécessaire à la manifestation du sentiment, Palestrina s’élance du milieu de ces ouvriers patiens attachés à la glèbe, c’est-à-dire à la lettre qui tue ; il leur apporte l’esprit qui seul vivifie. Génie éminemment italien, plein d’onction et de sérénité, il épure, il simplifie les formes matérielles de la composition que lui ont transmises ses maîtres, et les emplit du souffle de la vie. Il dit des choses sublimes avec les mêmes moyens qui avaient servi de jouet à l’esprit de combinaison,