Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 2.djvu/175

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

leurs mâles destinées. Celui qui revendiquera un jour au nom de l’Allemagne l’auteur de Hamlet et du Roi Lear devait exposer avec une fierté presque patriotique l’influence de ces fils aînés de la Germanie, influence qui a survécu, on le sait, à la conquête des Gallo-Normands, et qui se réveille de nos jours avec une juvénile énergie. Ce n’est là toutefois qu’un résumé rapide; les études sur l’Italie et l’Espagne du moyen âge, publiées sous ce simple titre d’Écrits historiques, ont bien autrement d’importance. Ici, c’est le tableau des historiographes de Florence depuis le XIIIe siècle jusqu’au XVIe avec une étude approfondie sur Machiavel ; là, c’est une histoire du royaume d’Aragon sous la dynastie des comtes de Barcelone. Ces deux études sont excellentes, et si quelque plume habile se chargeait de nous les traduire, notre littérature historique s’enrichirait de vues originales et de documens précieux.

M. Gervinus a interrogé avec précision toute la suite des chroniqueurs qui précèdent Machiavel. Ricordano Malespini ouvre le cortège, esprit crédule, conteur naïf, le premier qui ait écrit l’histoire en langue italienne, intéressant surtout parce qu’il a recueilli la tradition des familles nobles de Florence, et mis à profit leurs archives domestiques. Malespini appartient au XIIIe siècle. A côté de lui et dans le même temps est un conteur assez semblable, messer Pace da Certaldo. Mais bientôt, sous l’influence des libres mœurs et de l’activité politique de la cité, une inspiration plus haute apparaît : voici Dino Compagni, qui, sans se soucier des fabuleuses origines où se complaisait Malespini, commence l’histoire de Florence avec les luttes intestines de son temps, et donne un vif tableau des guelfes et des gibelins, de 1280 à 1312. M. Gervinus, si sévère dans ses appréciations, ne craint pas de le citer sans cesse auprès de Dante Alighieri. Ils sont gibelins tous les deux, ils ont la même foi politique, le même patriotisme, et les invectives que le pieux amant de Béatrice va jeter à Florence dans la Divine Comédie éclatent déjà dans le récit de l’historien. M. Gervinus, confrontant les chroniqueurs avec chacune des périodes qu’ils retracent, a su jeter une vive lumière sur ces dramatiques origines de Florence. On sent qu’il aime son sujet. Ce n’est pas seulement le travail d’un érudit, ce sont les preuves d’une théorie tout entière qu’il exposera plus tard, et qui est déjà l’inspiration secrète de ses travaux. L’histoire de Florence est aussi importante à ses yeux dans le mouvement des sociétés modernes que l’histoire de la démocratie athénienne dans les destinées du monde antique. Si l’on possédait tous les logographes qui ont raconté la vie primitive d’Athènes avant l’invasion des Perses et la guerre du Péloponèse, avec quelle curiosité on interrogerait leurs tableaux! M. Gervinus voit dans Machiavel l’égal de Thucydide, et s’il étudie avec une attention si précise les narrateurs