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brusquerie avec laquelle il se place dès les premiers mots en plein sujet, ainsi que dans les efforts qu’on le voit faire pour reprendre à la fin son sang-froid et pour rajuster ses paroles sous le voile d’un parfait dévouement.


« Ce 1er septembre 1772.

« Monsieur mon frère,

« Je vois par la lettre de votre majesté le succès qu’elle a eu dans le changement de la forme du gouvernement suédois; mais croit-elle que cet événement se borne à la réussite d’une révolution dans l’intérieur de son royaume ?... Que votre majesté se souvienne de ce que j’ai eu la satisfaction de lui dire lorsqu’à Berlin j’ai joui de sa présence; je crains bien que les suites de cette affaire n’entraînent votre majesté dans une situation pire que celle qu’elle vient de quitter, et que ce ne soit l’époque du plus grand malheur qui peut arriver à la Suède. Vous savez, sire, que j’ai des engagemens avec la Russie; je les ai contractés longtemps avant l’entreprise que vous venez de faire; l’honneur et la bonne foi m’empêchent également de les rompre, et j’avoue à votre majesté que je suis au désespoir de voir que c’est elle qui m’oblige à prendre parti contre elle, moi qui l’aime et lui souhaite tous les avantages compatibles avec mes engagemens; elle me met le poignard au cœur en me jetant dans un embarras cruel, duquel je ne vois aucune issue pour sortir. J’ai écrit de même à la reine sa mère; je lui expose les choses dans la plus grande vérité; mais la chose est faite, et la difficulté consiste à y trouver un remède. Je regarderai comme le plus beau jour de ma vie celui où je pourrai parvenir à rajuster ce qui s’est passé, ne pensant qu’aux véritables intérêts de votre majesté et ne souhaitant que de pouvoir lui donner des marques de la haute estime et de l’attachement avec lequel je suis, monsieur mon frère, de votre majesté, le bon frère et fidèle oncle,

« FREDERIC. »


Dix jours ne suffisent pas pour imposer au grand Frédéric un peu plus de modération; une seconde lettre, adressée par lui le 11 septembre à la reine douairière Louise-Ulrique, mère de Gustave III, ne montre de sa part ni plus de calme ni plus de bonne foi. Son apparent dédain pour la conquête de la Poméranie, qu’il affiche dans cette seconde lettre, trahit quel violent désir il avait réellement d’enlever cette province à la Suède, et les imputations de ses dernières lignes sont d’ailleurs aussi gratuites qu’odieuses.


« Ma très chère sœur, écrivait Frédéric, je suis bien fâché que vous distinguiez si mal vos amis de vos ennemis….. Si votre bonheur était solide, je serais le premier à vous en féliciter; mais les choses en sont bien éloignées : je vous envoie ici la copie de l’article de notre garantie tel qu’il a été signé à Saint-Pétersbourg, et j’y ajoute même que, si je ne peux trouver des expédiens pour calmer les esprits, je remplirai mes traités, parce que ce sont des engagemens de nation à nation et où la personne n’entre pour rien. Voilà ce qui me met de mauvaise humeur de voir que par l’action la plus