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et les États-Unis, eut par le plus grand des hasards une entrevue avec lord Byron, vécut à Paris de la vie de Bohême, et partit de la capitale du plaisir ruiné par la roulette et le Palais-Royal, en laissant à son hôtelier une malle vide en paiement. Après quelques voyages insignifians, il fit voile pour La Havane, où l’attendait la première des aventures sérieuses de sa vie. Presque en vue de Cuba, le vaisseau qu’il montait fut attaqué par des pirates ; un terrible combat se livra pendant la nuit sur le pont du navire, et notre jeune héros, pour échapper au massacre, se jeta à l’eau et gagna péniblement le rivage. Au point du jour, il monta sur un arbre, et de là put contempler les débris de son navire, que les pirates débarrassaient activement de sa cargaison. Cependant, réduit à se cacher, obligé de se couvrir de sable pour échapper aux insectes, il était en danger de mourir de faim, si le hasard, plus prudent que lui, ne l’avait pas remis aux mains des brigands auxquels il essayait de se dérober. Un de ces chiens énormes dont les Espagnols se servaient naguère pour faire la chasse aux Indiens, et dont les planteurs se servent encore pour faire la chasse aux esclaves, vint, en bondissant et grognant, tomber près du jeune aventurier, qui n’eut que le temps de grimper sur un arbre pour échapper à ses griffes et à ses dents redoutables. Théodore Canot fit contre fortune bon cœur, se rendit, et suivit les pirates à leur demeure.

La société des pirates était divisée en deux bandes, sous le commandement de deux chefs distincts, et dans l’un de ces chefs Théodore Canot trouva un protecteur. Ce bienveillant pirate, que la bande nommait don Rafaël, Français d’origine, qui avait fait la guerre de l’indépendance mexicaine avec un oncle de Canot, et que l’ingratitude du Mexique avait contraint au métier de brigand, sauva le jeune Théodore d’une mort certaine en le réclamant comme son neveu. Il avait cru reconnaître sur le visage du jeune homme les traits de son vieux compagnon en condottiérisme, et s’était intéressé à lui. Les pirates consentirent à garder parmi eux le neveu improvisé de don Rafaël Mesclet, et relevèrent à la dignité d’aide-marmiton du chef de cuisine Gallegos, bon cuisinier, solide pirate et parfait coquin. Théodore vécut quelque temps avec les bandits, non sans péril, malgré ses pacifiques fonctions de marmiton, car il lui fallait veiller sur Gallegos et tenir toujours la main sur son cuchillo (petit poignard). Plusieurs fois il faillit être sa victime ; mais enfin Gallegos, dénoncé par lui comme voleur des biens de la communauté, subit un supplice terrible. Il fut condamné à être enchaîné à un arbre et abandonné à l’action des élémens, jusqu’à ce qu’il fût mort de faim. « Je demandai que la sentence fût adoucie, mais on se moqua de ma pitié enfantine, et on m’ordonna de retourner au rancho. La sentence fut