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examen sérieux. Il lui a sacrifié son repos et peut-être sa gloire ; ses idées exclusives et nouvelles ont beaucoup nui à sa fortune, et, au temps où nous vivons, on ne saurait trop admirer un homme qui se dévoue à ses opinions, fussent-elles scientifiques.

Lorsqu’on veut exposer une science peu connue, le moyen le plus simple consiste à en faire l’histoire. Les connaissances s’introduisent alors dans l’esprit du lecteur comme elles se sont formées dans celui des générations ; on suit pour ainsi dire la science pas à pas, et l’on passe avec elle de ses élémens les plus simples à ses théories les plus complexes. Nous ne pouvons suivre ici cette méthode d’une manière complète. L’histoire de la chimie a été faite dans la Revue par M. de Quatrefages[1]. Dans un remarquable travail, il a exposé les lents progrès de cette science depuis son origine jusqu’à nos jours, depuis les alchimistes jusqu’aux théoriciens, depuis Raymond Lulle jusqu’à nous. Nous ne voulons pas revenir sur ce qu’il a si bien traité. Ce sont d’ailleurs les doctrines qu’il présentait comme les résultats des derniers progrès de la science qui sont en partie attaquées par M. Laurent, et, comme notre objet est la théorie pure, les œuvres des anciens chimistes ne pourraient nous être d’un grand secours. Pour trouver des idées théoriques et raisonnables sur la constitution des corps, il faut plutôt les chercher dans les ouvrages des philosophes.

Avant le XVIIIe siècle, les discussions théoriques entre les chimistes ne roulaient guère que sur le nombre de parties de métal que la pierre philosophale pouvait transmuter. Les uns pensaient avec Roger Bacon qu’une seule partie de cette pierre convertissait en or cent millions de parties de métal commun ; les autres élevaient ce chiffre, avec Raymond Lulle, à mille millions, d’autres l’abaissaient, avec Basile Valentin et John Price, à soixante-dix ou même à quarante parties. Chez les philosophes, on trouve des opinions plus vraies et plus pratiques même que chez les expérimentateurs les plus exercés. L’art d’arriver à la vérité par l’expérience est tout moderne, et les anciens l’ignoraient. Ils ne savaient ni expérimenter, ni déduire des conséquences générales de leurs observations ; ils se sentaient bien plus à l’aise dans la pure spéculation qu’au milieu de ce mélange de l’expérience et du raisonnement qui seul a conduit la science à ce point de perfection que nous admirons aujourd’hui. Les ouvrages de Lucrèce, d’Épicure, de Gassendi et de Descartes nous donnent seuls des notions sur la constitution des corps, c’est-à-dire sur ce qui nous intéresse en ce moment. Quinze siècles d’expériences ont été impuissans à dévoiler ces mystères, et paraissent perdus dans les stériles recherches d’un art

  1. Voyez la livraison du 1er août 1842.