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sensiblement de prix, de même que celui de vingt denrées exotiques. Chez nous, dans nos montagnes du Forez, le fer, qu’emploient tant de petites forges isolées, est vendu à beaucoup meilleur marché après la mise en exploitation des chemins de fer. Un grand nombre d’articles de vêtement, importés plus facilement de Lyon ou de Paris, éprouve une réduction marquée. Tels objets regardés naguère comme des articles de luxe rentrent désormais dans la consommation générale. Quant aux denrées alimentaires, le prix de ces articles ne s’élève pas à Rive-de-Gier et à Saint-Étienne, au milieu d’une activité si puissamment agrandie, en une proportion plus large et plus rapide que dans les villes de France où les élémens de travail demeurent stationnaires. La progression équivaut donc à une baisse relative.

Ainsi, en dernière analyse, de notables avantages locaux sont dérivés, durant la phase originelle des chemins de fer, de créations qui étaient elles-mêmes toutes locales. Peut-on dire néanmoins que ces premiers essais aient produit en France tout le bien qu’ils étaient susceptibles d’engendrer ? Peut-on dire qu’on a su s’en servir de la manière la plus conforme aux vrais principes de l’économie sociale ? C’eût été peut-être demander l’impossible. Le reproche qu’on peut adresser à ces exploitations consiste à n’avoir pas su s’inspirer assez de cette idée, que le meilleur moyen, pour réussir ou pour étendre son succès, c’est de consulter sans cesse les intérêts du public. La tendance à outrepasser son droit se manifeste dès l’origine. On ne cherche pas avec assez d’ardeur quels nouveaux services on pourrait ajouter à ceux qu’on rend déjà. Dans la Loire, les chemins de fer n’ont jamais été d’aucun avantage pour l’agriculture. Pourquoi ? C’est qu’ils n’ont pas voulu adopter des mesures, du moins des mesures constantes, comme telles et telles compagnies anglaises et américaines, pour faciliter le transport des engrais, des récoltes, etc. Relativement aux articles industriels même, les petits producteurs, par suite des rigueurs du tarif, n’ont pas toujours tiré profit des voies ferrées. Les imperfections, les inconvéniens signalés dans l’exploitation de ces voies font désirer de nombreuses améliorations ; mais la réalisation de ces réformes doit appartenir à une autre époque que celle où le plan de cette première étude nous oblige à nous renfermer.

Comment peut-on caractériser le rôle de chacun des pays dont les tentatives d’importance inégale remplissent la période originelle des chemins de fer ? Les deux peuples issus d’une même origine qui déploient sur l’un et l’autre bord de l’Océan, bien qu’avec de profondes différences de caractère, un génie également pratique, apparaissent ici sur le premier plan. Ils n’y apparaissent pas tous les deux sous le même jour ni avec le même mérite. L’invention appartient à l’Angleterre ; les États-Unis se distinguent ensuite par la rapidité apportée dans l’exécution. Quant à la France, elle se borne alors à imiter ; son vrai rôle n’était pas encore commencé. Ce n’est que durant la seconde période, durant la période des études scientifiques, qu’elle remplit véritablement une mission d’un ordre particulier. La question se dégage alors peu à peu des langes de l’empirisme ; elle sort du cercle des exploitations purement locales. Chacun comprend qu’elle se lie de près aux destinées de la civilisation moderne.


A. AUDIGANNE.