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qui devaient la faire préférer pour cette destination, au point de vue de l’intérêt général, celles qui pouvaient en faire pour Napoléon un lieu de relégation aussi salubre, aussi peu pénible que le comportaient les circonstances. Napoléon lui-même en jugea d’abord ainsi : au rapport de M. de Las-Cases, il disait, non pas avant d’avoir vu Sainte-Hélène, mais lorsqu’il y était déjà depuis plusieurs semaines, qu’exil pour exil, c’était peut-être encore le meilleur qu’on eût pu lui assigner.

En appréciant la conduite du gouvernement anglais envers l’empereur, j’ai dû faire une large part aux nécessités de la politique ; j’ai justifié la détention et l’exil de celui qui était naguère le maître de l’Europe ; j’ai admis qu’on avait pu être autorisé à le placer, pour le salut de tous, dans une situation exceptionnelle, celle d’un prisonnier de guerre restant captif alors qu’il n’y avait plus de guerre, celle d’un homme condamné à perdre sa liberté par le jugement et dans l’intérêt de l’Europe, alors que son titre de souverain, reconnu naguère par le continent tout entier, le mettait en dehors de toute juridiction. Je ne crois pas, Dieu m’en préserve, que la politique justifie tout, comme Napoléon aimait à le répéter, comme il le disait encore à Sainte-Hélène, alors même que les conséquences de ce terrible axiome semblaient devoir se présenter à lui sous l’aspect le plus répugnant, mais je crois qu’elle excuse tout ce qui n’est pas contraire à l’humanité, à la foi jurée, aux principes de l’éternelle équité ; je crois qu’en certains cas, lorsqu’elle a en vue de grands intérêts généraux, auxquels on ne saurait pourvoir autrement, elle autorise de regrettables rigueurs. Je me hâte d’ajouter que ces rigueurs, pour ne pas être condamnables, pour ne pas entacher ceux qui sont condamnés à en être les instrumens, non-seulement doivent être renfermées dans les limites de la plus absolue nécessité, mais doivent encore être tempérées par tous les adoucissemens qu’il est possible d’y apporter. Manquer à ces ménagemens, ce n’est pas seulement méconnaître un devoir sacré, c’est commettre une grande faute politique, c’est s’exposer à la réprobation de l’histoire, lorsque la victime que l’on frappe, quels que puissent être ses torts et la défaveur qui s’attache à elle dans le présent, se recommande à la sympathie des générations futures, soit par de grandes vertus, soit par une grande gloire, soit par la hauteur de la position d’où elle a été précipitée.

Si Napoléon ne réunissait pas tous ces titres à l’admiration bienveillante de la postérité, il en possédait certainement plusieurs au degré le plus éminent où jamais homme les ait possédés. Le gouvernement britannique en a-t-il tenu un compte suffisant dans le traitement qu’il lui a fait subir ? Je ne le pense pas.

On pourrait s’y tromper, si l’on s’en rapportait à la lettre des instructions