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était impossible. Je suis en effet porté à le croire aujourd’hui, après une plus longue expérience des rivalités humaines ; mais ce que je n’avouerais pas aussi volontiers, c’est que ce succès ne fût pas à désirer. Je n’exprime ici qu’une opinion personnelle, puisque la Revue où j’écris a été vivement engagée contre la coalition ; mais je croyais et je crois encore qu’une des principales causes de la faiblesse du gouvernement de juillet a été la division radicale des hommes qui avaient le plus contribué à le former. Qu’on s’y soit mal pris pour opérer entre eux un rapprochement, qu’on ait porté à tort dans la lutte contre les obstacles ces allures acerbes qui étaient alors le langage habituel des journaux, c’est possible. Le public français, si prompt à croire le mal en toute chose, et, il faut bien le dire, si peu habitué, si peu enclin et si peu propre à l’exercice de la liberté politique, n’a vu dans la coalition qu’une ligue d’ambitions ; il y avait plus et mieux, selon moi, — une pensée vraiment politique qui aurait sauvé la monarchie constitutionnelle en élargissant sa base ; Après 1848, une tentative du même genre a été essayée dans de bien meilleures conditions, et elle a encore échoué.

Ce n’est pas ici le lieu d’examiner comment la coalition triomphante s’est rompue après les élections de 1839. Après avoir fait l’un et l’autre ce que nous avions pu pour la mener à bien, nous reprîmes, après sa dissolution, notre place dans notre camp respectif, et peu à peu, quand les deux fractions un moment rapprochées en vinrent de nouveau aux mains avec acharnement, nous finîmes par partager les liassions hostiles que nous avions essayé de contenir. Ce court moment de la coalition est le seul où j’aie pris une part active à la polémique politique, et le résultat que j’avais obtenu n’était pas de nature à m’encourager à continuer : je quittai donc la presse quotidienne, Léon faucher y persévéra, et acquit de jour en jour, dans son parti, plus de renommée et d’autorité.

Quand le ministère du 1er mars 1840 se constitua, la coalition n’était pas encore tout à fait dissoute. M. Thiers devint président du conseil. M. de Rémusat ministre de l’intérieur, M. Guizot ambassadeur à Londres. Le nouveau président du conseil avait une considération marquée pour les journaux, qu’il regardait comme les plus sûrs moyens d’agir sur l’opinion : on vit, ce qui ne s’est peut-être jamais vu à ce point, et ce qui dans tous les cas n’est arrivé qu’alors pour les journaux de la gauche, de simples écrivains devenir les confidens intimes du gouvernement. Léon Faucher était, parmi eux, le plus écouté. Je ne dis pas qu’il ait toujours donné les meilleurs conseils, j’étais des lors rarement de son avis ; mais ce que je puis dire, parce que je l’ai vu, c’est qu’il fit preuve dans cette circonstance du plus absolu désintéressement : il n’usa jamais de son influence que pour ce qu’il croyait l’intérêt public.

Une occasion plus frappante encore se présenta bientôt pour lui de montrer une fois de plus l’inflexibilité de sa probité politique. Le ministère du 1er mars ayant été remplacé, cet homme, qui avait pris un moment une part active, quoique peu apparente, au gouvernement de son pays, continuait, comme par le passé, son labeur quotidien au Courrier français. La propriété de ce journal changea de mains, et les nouveaux acquéreurs annoncèrent l’intention d’en modifier un peu la couleur. Léon Faucher donna immédiatement sa démission de rédacteur en chef : trait d’autant plus honorable,