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le Dieu Père, Fils et Saint-Esprit. Voilà le principe d’où il faut partir. Quoi donc ! dirai-je, obligerez-vous l’astronomie de prendre son principe dans la théologie ? C’est exorbitant. Encore si ce principe était une vérité claire et distincte ; mais non, c’est un mystère. Vous voulez donc que les sciences, au lieu de partir du connu pour atteindre l’inconnu, partent du mystérieux, de l’inexplicable. Singulier moyen d’éclaircir et d’expliquer les choses ! Il est heureux que Copernik et Galilée ne s’en soient pas servis ; mais enfin suivons le fil de cette déduction extraordinaire : Dieu est un et triple ; je l’accorde, que s’ensuit-il pour les planètes ? Il s’ensuit, me dites-vous, que les mouvemens des planètes doivent exprimer la Trinité : j’y consens ; comment feront-elles pour cela ? Le père Gratry répond : elles se mouvront circulairement.

En vérité, cette conclusion est inintelligible. Quand les pythagoriciens soutenaient que les astres sont sphériques et se meuvent en cercle, parce que la sphère et le cercle sont les plus belles de toutes les formes, cela avait un sens, car il est vrai que ces figures sont géométriquement les plus simples ; mais comment aboutir au cercle en partant de la Trinité ? Le père Gratry ne le dit pas. Supposons bénévolement qu’on aboutisse au cercle : nouvel embarras. L’expérience prouve en effet que les planètes se meuvent, non pas en cercle, mais selon des courbes elliptiques, et la gloire de Kepler, c’est justement d’avoir découvert cette loi. Mais non ; ce que le père Gratry admire dans Kepler, ce n’est pas sa découverte, ni ses tables, ni ses calculs ; le père Gratry admire Kepler pour avoir déduit de la Trinité un mouvement en cercle qui ne peut s’en déduire, et qui, étant absolument nécessaire a priori, a le malheur de n’exister pas. À la vérité, le père Gratry ne reconnaît pas ce démenti de l’expérience. L’ellipse et le cercle sont, dit-il, deux figures de même espèce, l’ellipse étant la projection du cercle et le cercle n’étant qu’une ellipse dont les deux foyers sont identiques. Voilà qui est ingénieux, et c’est se tirer d’affaire en homme d’esprit ; mais un peu de bon sens ne serait-il pas ici préférable, et ne peut-on pas dire avec Molière à l’admirateur de la théologie de Kepler :

Quand sur une personne on prétend se régler.
C’est par ses beaux côtés qu’il lui faut ressembler.

Admirons donc le génie et les découvertes de Kepler, mais laissons-lui ou plutôt laissons à l’enfance de l’âge moderne les animaux divins, les rapports de la Trinité avec la forme sphérique et la parenté de l’âme et du cercle (adumbrationem sacro sanctæ Trinitatis in sphærico, et cognationem circuli et animæ).

Un dernier mot : si le père Gratry avait raison, si l’on pouvait déduire a priori les lois de l’univers de la nature de Dieu, la