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la force, de l’intelligence, de la beauté, de l’amour, de la liberté : donc tout cela existe dans le créateur. La vie, dans l’univers, se développe sous la condition de la limite, de l’espace, du temps ; elle est en Dieu sous la forme de l’éternité, de l’immensité, de l’infini. Voilà la méthode dialectique dont le père est Platon, ou, pour mieux dire, elle a pour véritable père l’esprit humain. Elle a paru dans le monde le jour où l’homme a senti sa faiblesse, et proclamé au-dessus de lui quelque chose de divin.

Le procédé métaphysique a donc ce caractère de franchir d’un bond l’intervalle qui sépare la créature du créateur, le fini de l’infini, l’être contingent de l’être nécessaire. Sur ce point, nous sommes d’accord avec le père Gratry, et nous reconnaissons qu’il décrit exactement le procédé dialectique ou métaphysique ; mais il est d’autant plus surprenant qu’il identifie ce procédé avec celui des sciences physiques, avec l’induction.

Voici un physicien qui observe la nature : en réunissant les observations faites par ses devanciers, en y ajoutant ses observations propres, en les comparant, en les combinant, en ajoutant à la puissance très bornée de nos sens la puissance indéfinie des instrumens, il parvient à reconnaître que toutes les planètes connues ont une même loi, qu’elles se meuvent selon des courbes elliptiques dont le soleil occupe un des foyers. Cette loi est admirable ; elle fait la gloire de Kepler, et Newton en tirera l’attraction universelle. D’un autre côté, voici un métaphysicien qui essaie de trouver quelque lumière sur l’origine des choses : il se dit que le monde est un composé de force et d’intelligence, et comme en cette région des choses qui passent, toute force a des limites, toute intelligence des lacunes et des ombres, il rapporte le monde à une cause infinie et toute-puissante qui renferme en elle la perfection de l’intelligence et de l’activité, et qui du sein de l’éternité épanche hors d’elle-même, sans s’épuiser, la force, la pensée et la vie. Ce philosophe, c’est Anaxagore, c’est Socrate, c’est Platon, c’est Descartes, c’est Leibnitz, c’est Voltaire, c’est tout homme qui se recueille et s’estime ce qu’il est.

J’ai beau comparer le procédé du physicien et celui du métaphysicien, je n’y vois que ces analogies générales, qui tiennent à la nature constante de l’esprit humain ; mais, loin d’y saisir une identité, j’y reconnais au contraire des différences essentielles.

Que trouve ou que cherche le physicien ? Les lois de la nature. Que cherche le métaphysicien ? Dieu et ses attributs. Mais qu’est-ce qu’une loi de la nature ? Un fait général, rien de plus. Je dirai un fait universel, si vous voulez ; mais un fait n’est qu’un fait. Particulier ou universel, il garde son essence ; il exprime une vérité contingente qui pourrait être ou n’être pas, qui n’a rien en soi de nécessaire et d’absolu.