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hauteur, car c’est surtout par leur côté sublime que Mme Ristori aime à saisir les choses. Ses momens de défaillance, quand elle en a, se rencontrent toujours aux endroits faibles d’un rôle, alors que le poète semble s’abandonner lui-même. Quant à moi, je ne lui ai jamais vu manquer une situation, et ce qui prévaut en elle, c’est moins encore le talent que l’élévation de la sphère où ce talent se meut.

Parlerai-je de la Pia ? Les quelques mots que j’en voudrais dire seraient pour faire ressortir davantage cette espèce d’inspiration transcendante qui semble travailler Mme Ristori, ce flair intelligent qui la pousse à chercher le beau même en dehors des limites de l’ouvrage qu’elle joue. Ainsi, dans cette pièce d’un intérêt si médiocre, et qui ne saurait suffire à l’activité de son talent, c’est Dante tout entier qui la possède et qui l’inspire. Suivez-la à ce point de vue, elle est admirable. Quelle austère et pudique grandeur ! quel mélange de grâce ingénue et de fierté patricienne ! Et quand viennent au cinquième acte les fameux vers de la Divine Comédie intercales dans ce drame :

Ricorditi di me che son la Pia !
Siena mi fe, disfecemi maremma.
Salsi colui che’ nnanellata, pria
Disposando m’ havea con la sua gemma !


avec quel accent profond elle les dit ! comme elle se repaît saintement de l’immortelle substance de cette poésie ! On a comparé l’épopée dantesque à une cathédrale ; Mme Ristori, par l’ovale allongé de ses traits, la suave gravité de ses poses, la symétrie calculée de son geste un peu raide sous la dalmatique blanche aux plis droits, semble une image vivante échappée à cette architecture, et vous fait involontairement songer à Giotto, comme dans Mirra et dans Marie Stuart elle vous rappelait Phidias et Holbein.

Le brillant et rapide succès de Mme Ristori, l’élan universel et tout spontané avec lequel ce nom, ignoré naguère de la plus grande partie du public, a été du jour au lendemain porté aux nues, ont fait croire assez communément à une sorte de découverte dont l’honneur tout entier reviendrait à notre monde parisien. C’est là du reste un genre de mérite que nous aimons beaucoup à nous attribuer, et il nous suffit en général d’adopter un talent pour être imperturbablement convaincus que nous l’avons créé. Les Italiens ne sont pourtant point gens à méconnaître chez eux la valeur d’un artiste ou d’un chef-d’œuvre ; plus aisément les croirait-on portés à s’exagérer cette valeur, et de ce que le public de Paris n’avait rien su jusqu’à ce jour de ce noble et beau talent, il n’en faudrait pas trop vite conclure que les Italiens l’aient ignoré. Voilà tantôt dix ans que Mme Ristori occupe la renommée de l’autre côté des Alpes, où elle a recueilli l’héritage célèbre de la Marchionni, dix ans que la société de Turin et de Florence ne connaît pas d’autre Melpomène. Je dirai plus : en Italie, sa gloire a déjà passé fleur, en ce sens qu’aux démonstrations banales et bruyantes du premier enthousiasme a succédé cette estime raisonnée et profonde, cette judicieuse et sincère admiration, qui, bien autrement que des bravos, des couronnes et des sérénades, semble faite pour honorer l’actrice et la femme. Tout le monde