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aux gens de sa nation le langage qu’il leur a enseigné lui-même, celui de ses préjugés.

Voyez cependant comme ce brahmane dédaigneux et gourmé sait trouver des paroles pleines de justice et de douceur, quand il s’agit de l’hospitalité, cette antique vertu de l’Orient. Quoi de plus charmant et de plus généreux à la fois que cette stance où le poète enseigne le pardon des injures au maître de maison : « Il faut accorder l’hospitalité même à un ennemi ;… l’arbre ne refuse pas son ombrage même au bûcheron ! » Et voyez comme le caractère de l’hôte devient sacré aux yeux de ces Asiatiques d’ordinaire si peu confians envers les étrangers : « Qu’un enfant, un vieillard ou un jeune homme se présente chez vous, vous devez le recevoir avec honneur, car pour tout le monde un hôte est un personnage digne de vénération. » Enfin la distinction des castes disparaît complètement dans ce distique tout à fait indien par la forme et presque chrétien par l’idée : « Les gens de bien sont compatissans, même à l’égard des êtres les plus méprisables. La lune ne refuse pas sa lumière à la demeure du tchândala (paria). » Et plus loin : « Cet homme est-il un des nôtres, ou est-ce un étranger ? Ainsi raisonnent les petits esprits. Pour les hommes généreux, le monde entier n’est qu’une seule famille. »

C’est ainsi que le moraliste indien, entraîné par la netteté de son jugement, par la bonté de son cœur et aussi par cet élan de poésie qui agrandit les idées, brise les limites étroites que lui impose la tradition. L’amitié est encore un des sentimens naturels que l’auteur de l’Hitopadésa traite de la façon la plus délicate. « La vertu est le seul ami qui nous suive après la mort ; tout le reste périt avec le corps. » Et ailleurs : « On reconnaît un ami dans l’adversité, un héros dans le combat, un honnête homme dans le paiement d’une dette ; c’est quand on a perdu sa fortune qu’on reconnaît une femme dévouée ; c’est dans le malheur qu’on reconnaît un parent. » — « Le véritable ami, est-il dit encore, ne nous abandonne ni à la cour du prince ni au cimetière. » Ces vérités-là appartiennent au monde entier, et on aime à les rencontrer dans un ouvrage si fortement empreint de l’esprit brahmanique : elles sont un témoignage de plus de l’extrême ressemblance qui existe entre tous les hommes éclairés et bienveillans, en quelque lieu qu’ils soient nés. Malheureusement, si les mêmes sentimens généreux font battre le cœur des gens de bien aux quatre coins du monde, les mêmes vices aussi souillent l’âme des méchans. Nous avons vu avec quelle verve le pandit Nârâyana trace les portraits du pervers et de l’hypocrite, cachés sous le masque du chacal et du chat. Tout en flétrissant ainsi le vice odieux de l’hypocrisie, remarquons-le bien, l’auteur de l’Hitopadésa ne cherche point