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« — Vous n’avez rien fait de bon ici, Abel Handy, dit-il, il est facile de le voir, et vous ne faites jamais grand’chose de bon, je pense.

« — Je me mêle de mes affaires, monsieur Bunce, murmura l’autre ; faites la même chose. Mes actions ne vous regardent pas, et quant à votre espionnage, il ne me fait ni chaud ni froid.

« — Je suppose, Skulpit, continua Bunce sans faire attention à son interlocuteur, que si vous dites la vérité, vous avouerez que vous avez fini par mettre votre nom au bas de leur pétition.

« Skulpit rougit, et son visage prit une expression pleine de confusion et de honte.

« — Qu’est-ce que cela vous fait qu’il ait signé ? dit Handy. Je suppose que si nous voulons réclamer notre bien, nous n’avons pas à vous en demander d’abord la permission, monsieur Bunce, et quant à venir vous faufiler ici, dans la chambre de Job, lorsqu’il est occupé et qu’on n’a pas besoin de vous…

« — Je connais Job Skulpit depuis soixante ans, je l’ai connu enfant et homme, dit Bunce en regardant du côté de ce dernier, je l’ai connu depuis le jour de sa naissance. J’ai connu la mère qui l’a engendré alors qu’elle et moi, enfans du même âge, nous allions cueillir des marguerites dans le clos qui est là-bas, et j’ai vécu sous le même toit que lui plus de dix ans. Après tout cela, je puis bien venir dans sa chambre sans en demander la permission et sans avoir besoin de me cacher.

« — Vous le pouvez, monsieur Bunce, dit Skulpit, vous le pouvez à toute heure du jour et de la nuit.

« — Et je suis libre aussi de lui dire mon opinion, continua Bunce en regardant un des interlocuteurs et en s’adressant à l’autre, et je lui dis maintenant qu’il a commis une action folle et injuste, qu’il joue le jeu de gens qui ne se soucient en rien de lui, qu’il soit pauvre ou riche, bien portant ou malade, vivant ou mort. Cent livres par an ? Êtes-vous tous assez simples pour croire que ce sont des gens comme vous qui peuvent jouir de cent livres par an, si quelqu’un les donne ? — Et il montra du doigt Billy Gazy, Spriggs et Crumple. — Quelqu’un d’entre nous a-t-il jamais fait quelque chose valant la moitié de cet argent ? Était-ce pour faire de nous des gentlemen qu’on nous a reçus ici, lorsque le monde nous tournait le dos et que nous ne pouvions plus gagner notre pain quotidien ? Ne sommes-nous pas aussi riches dans notre genre que lui dans le sien ? — Et l’orateur désigna du doigt la partie de l’édifice dans laquelle demeurait le directeur. — N’avez-vous pas obtenu tout ce que vous espériez, et même plus que vous n’espériez ? Chacun de vous n’aurait-il pas donné son membre le plus précieux pour être sûr d’obtenir ces bienfaits qui ont fait de vous des ingrats ?

« — Nous voulons ce que John Hiram nous a laissé, dit Handy ; nous voulons ce qui nous appartient de par la loi ; peu importe ce que nous espérions. Ce qui nous appartient de par la loi doit être nôtre, et, par tous les diables ! nous l’aurons.

« — La loi ! dit Bunce avec tout le mépris dont il était susceptible. La loi ! A-t-on jamais vu qu’un pauvre homme profitât de la loi, et n’est-ce pas plutôt le légiste qui profite d’un pauvre homme ? M. Finney sera-t-il jamais aussi