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s’enlaidissent de vertu. Ils n’osent pas être ce qu’ils sont en réalité ; ils ont des timidités puériles, ils craignent le jour, ils marchent à pas de loup ; ils se transforment et deviennent des vices spéciaux qui n’existent pas dans la nature humaine telle qu’elle est sortie des mains de Dieu. Pour ces formes nouvelles du vice, il a fallu inventer un nom particulier, la cafardise. La cafardise, comme la cuistrerie, n’est pas, à vrai dire, un vice ; c’est une olla podrida nauséabonde de vices et de vertus, une habitude d’esprit, résultat des habitudes de la vie et de la profession. La cafardise n’est pas l’hypocrisie, et c’est à tort qu’on les confond. Je crois sincèrement qu’il existe peu d’hypocrites parmi les prêtres, et que Tartufe serait absolument faux, si, au lieu d’être une sorte de gentilhomme et un captateur d’héritages, il appartenait en chair et en os à la caste sacerdotale. Non, le vice principal de tous les clergés de toute religion, sans exception aucune, c’est précisément ce vilain et déplaisant avortement du vice ; ce sont ces demi-convoitises que le scrupule pieux, naturel à une profession sainte, rend ridicules comme le spectacle de l’impuissance. Le vice clérical par excellence, ce n’est pas ce vice criminel et sinistre qu’a flétri Molière ; c’est ce vice puéril et ridicule qu’a si gaiement chanté le grave Boileau dans son Lutrin, et qui a toujours excité la verve ironique, non des impies, mais des hommes les plus réellement religieux et pieux. Les violens, les libertins, les incrédules ne sont pas ceux qui ont le plus crié contre ce vice, car ils ne le connaissent guère, pas plus qu’un ignorant ne connaît le pédantisme. Ceux qui le connaissent et qui en ont souffert, ce sont précisément les modérés, les esprits honnêtes et religieux. Vous avez peut-être reçu parfois quelqu’une de leurs confidences. « J’aimerais mieux, je crois, la société du curé Meslier que celle de ces gens-là, » disait un jour, en accentuant fort énergiquement ses paroles, un homme très austère, poussé à bout par toutes sortes de doucereuses platitudes. Et quel supplice en effet pour une tête saine que d’avoir à subir ces patenôtres à double sens, que d’être assommé de pieux projectiles, de prières ou de bénédictions intéressées, que d’avoir à se démêler dans l’écheveau embrouillé de la logique sacerdotale ! C’est un tourment que les hommes les plus pieux avoueront avoir éprouvé mille fois, et cependant le vice de la cafardise, si vilain qu’il soit, n’a jamais rien prouvé contre l’institution du clergé d’aucune religion, pas plus que le pédantisme a prouvé quelque chose contre les académies, les corps savans et les lettrés. Au contraire, ce vice prouve l’excellence du ministère religieux, car ce qui le constitue, c’est précisément la honte du vice, la connaissance de ce qu’il a de hideux et de coupable, la crainte de se laisser aller à la tentation. Les