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puissante qui a transformé leur croyance et conquis leur âme, ils disent que Dieu se communique à l’homme par deux voies, qu’il touche les yeux des prophètes et illumine leur esprit, qu’il touche le cœur des fidèles et entraîne leur assentiment, que cet assentiment et cette illumination sont des puissances étrangères et supérieures à l’homme, que la foi et la vision rejettent tout contrôle humain, échappent à la discussion, font taire les réclamations des facultés inférieures, et règnent seules, divines et incontestées parmi les contradictions, les hésitations et les faiblesses de toutes les autres.

Essayez maintenant d’opposer des objections à une doctrine ainsi formée. Priez-la de faire des concessions aux découvertes modernes, de s’accommoder avec l’expérience et le raisonnement, de se développer, de quitter sa forme antique et inflexible pour ouvrir ses ailes et s’élancer dans les voies nouvelles. Le conseil est contraire à sa nature. Ceux qui la représentent ne vous comprendront pas et ne vous écouteront pas. Que vient dire ici la raison boiteuse et incertaine, quand c’est la révélation et la foi qui parlent ? La foi et la révélation lui répondent : Je vois Dieu, je sens sa volonté et sa vérité ; il est ici présent ; voici le dogme de son église ; je crois et je ne discute point. Ma croyance vient d’ailleurs et de plus haut que la vôtre ; elle n’est point soumise à vos règles, elle n’admet pas vos vérifications, elle est indépendante de vos méthodes. Gardez vos lents procédés, vos douteuses inductions, vos syllogismes sans fin ; la connaissance que j’ai est directe, elle atteint son objet sans intermédiaire. Pendant que vous vous traînez à terre, elle arrive du premier bond au sein de la vérité.

Aussi y a-t-il toujours quelque ridicule à discuter avec un fidèle. L’adversaire use du raisonnement et de l’histoire contre une croyance qui ne s’établit ni par l’histoire ni par le raisonnement. Les preuves historiques qu’elle présente, les témoignages, les signes extérieurs de vérité, ne sont que des ouvrages avancés qu’elle perd ou qu’elle conserve sans grand dommage. On s’y bat moins par intérêt que par acharnement et par esprit de parti ; les soldats s’y font tuer, mais les grands généraux estiment ces postes pour ce qu’ils valent, ils savent que le sort de la forteresse n’en dépend pas. Quand Pascal, par exemple, consent à descendre sur le terrain de ses adversaires, il n’est jamais inquiet : il sent que le dogme derrière lui est défendu par une barrière infranchissable. Il avoue que pour la raison la religion n’est pas certaine, que bien des figures de l’Ancien Testament sont « tirées aux cheveux ; » que s’il y a dans les Écritures de quoi convaincre les fidèles, il y a de quoi aveugler les incrédules ; que c’est la grâce qui donne la foi, et qu’en définitive le moyen de supprimer les doutes n’est pas d’examiner le sens et l’authenticité des textes, mais de prendre de l’eau bénite, d’aller à la messe et de plier la machine.