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et en prononçant des prières. Ces préparatifs terminés, il prend le corps de l’enfant dans la main droite, et, plaçant la main gauche sur le visage de manière à fermer les yeux et la bouche, il le plonge trois fois dans le bassin. L’eau ne doit être chauffée par aucun moyen artificiel, et il arrive souvent en hiver qu’elle est complètement glacée. S’il y a un fleuve ou un lac dans le voisinage, on en bénit les eaux à un certain jour de l’hiver. Un large trou carré est creusé dans la glace, et le clergé, conduit par les hauts dignitaires, l’archevêque ou l’archimandrite, se rend solennellement à l’endroit convenu. Un crucifix, tiré du couvent le plus important ou de la principale église de la contrée, est porté là en grande pompe et plongé sous la glace. Quand le crucifix sort de l’onde, c’est à qui recueillera les gouttes qui en découlent, gouttes sacrées auxquelles on attribue une bienfaisante influence. Quelquefois, après la cérémonie, des gens du peuple se dépouillent de leurs vêtemens et s’élancent dans l’onde glacée pour participer aux bénédictions qu’elle a reçues. S’il y a un nouveau-né dans le pays, on profite aussi de l’occasion pour le baptiser, et le pauvre enfant est enfoncé par trois fois dans le trou sacré. Malheur à lui, si le pope est ivre ! il paraît que le cas n’est pas rare, et maintes fois le ministre de l’église russe, trop bien prémuni contre le froid et l’humidité par des libations copieuses, a laissé glisser de ses mains et se perdre sous les glaçons le pauvre innocent qu’il devait introduire dans la société des chrétiens.

Cette barbarie est atroce, combien elle deviendra ridicule et grossière s’il s’agit non plus d’un enfant, mais d’un adulte et surtout d’une femme ! C’est ce spectacle qui fut donné à M. Hansteen pendant son séjour à Tobolsk. Une juive allait épouser un fabricant de pelleteries ; l’homme était protestant, et comme la loi interdit formellement le mariage entre chrétiens et juifs, la jeune femme avait été obligée de se convertir à la religion grecque. Pourquoi, demandera-t-on, ne se convertissait-elle pas à la religion de son mari ? C’est encore là un des traits de la société russe. En Sibérie comme en Russie (sans parler des persécutions tant de fois exercées contre les catholiques de Pologne et les protestans d’Esthonie et de Courlande), on peut abjurer le judaïsme, le catholicisme, le protestantisme, mais seulement à la condition d’entrer dans l’église nationale. C’est ainsi que la jeune israélite, en renonçant au culte de ses pères, n’était pas libre de professer la religion de son mari. Je reviens à mon récit. La curiosité de notre voyageur était vivement excitée. Comment se fera le baptême ? pensait-il. Dérogera-t-on aux usages consacrés, ou bien faudra-t-il que cette juive de vingt ans soit plongée trois fois dans le bassin baptismal, comme l’enfant qui vient de naître ? Mme Hirsch et une femme de ses amies devaient