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— Une chique, l’ami, s’il vous plaît !

— Eh ! qui êtes-vous ? répondit le marin. Les matelots de la hune de misaine et de l’artimon ne veulent pas que nous allions nous mêler à eux. Allons, filez.

— Vous êtes aveugle ou fou, mon vieux, répondit Israël ; je suis votre camarade, n’est-ce pas, les amis ? ajouta-t-il en s’adressant aux autres.

— Nous ne sommes que dix dans notre service, si vous en êtes un, nous serons onze, dit un second matelot. Allons, filons vite.

— C’est bien mal, camarades, de traiter ainsi un vieux compagnon. Allons, allons, vous êtes fous. Donnez une chique. — Et il s’adressa de nouveau avec beaucoup de politesse an matelot le plus rapproché de lui.

— Écoutez bien, répondit celui-ci ; si vous ne partez au plus vite, vous, espion de l’artimon, nous allons vous jeter par dessus le pont immédiatement.

Israël affecta de prendre la chose en plaisanterie et s’en alla. Pour n’être pas découvert, il avait besoin, d’une manière ou d’une autre, de se faufiler dans les rangs de quelqu’un des groupes de l’équipage ; là était son seul espoir. Descendant sur le gaillard d’avant, Israël se mêla aux matelots employés au service de l’ancre de sûreté. Ceux-ci étaient à discuter sur la dernière rencontre, et exprimaient l’opinion qu’avant l’aurore le vaisseau serait hors de la vue de l’ennemi.

— Eh ! L’avons-nous bien poivrée, cette vieille carcasse, amis ? dit Israël. Donnez-moi une chique, quelqu’un d’entre vous. Combien avons-nous de blessés, savez-vous ? Personne de tué, à ce qu’on m’a dit ? N’est-ce pas un bon tour que nous leur avons joué ?

— Jack Jewboy, répondit un des marins, vient de me dire qu’il n’y a eu que sept hommes blessés, et que personne n’a été tué.

— Eh ! les amis, les bons amis ! cria Israël en s’avançant vers un des affûts de canon où trois ou quatre hommes étaient assis, pressez-vous, pressez-vous un peu et faites place à un camarade.

— Toutes les places sont prises, mon garçon ; regardez à l’autre canon.

— Les enfans ! une place ici ! s’écria Israël en s’avançant comme quelqu’un de la famille.

— Qui diable êtes-vous donc, vous qui faites ici tant de tapage ? demanda le quartier-maître du gaillard d’avant. Êtes-vous un des hommes du gaillard d’avant ? Voyons un peu. — Et avant qu’Israël eût pu échapper à l’examen, le vieux vétéran saisit une lanterne et l’approcha de son visage. — Attrapez cela, dit l’officier en donnant à Israël une poussée terrible et en le chassant ignominieusement du gaillard d’avant, comme un indiscret étranger venu des régions les plus éloignées du vaisseau.