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vers lui Kusid, fils de Kund, homme intelligent et rusé. « Va explorer ce pays, lui dit-il, et rapporte-moi s’il est bon et si Sviatipolg est notre ami. » Kusid, fils de Kund, part aussitôt avec une bouteille vide à la main et un sac de cuir sur le dos. Il va trouver Sviatipolg dans son palais et lui adresse ces paroles : « Arpad, mon seigneur, te prie de lui accorder, pour y faire paître ses troupeaux, un coin de ce pays, que son aïeul, le très-puissant roi Attila, posséda jadis tout entier. » Sviatipolg, supposant que les Magyars étaient une nation de bons paysans qui désiraient cultiver sa terre et faire paître leurs troupeaux moyennant tribut, accueille avec joie Kusid, fils de Kund. « Eh bien ! dit alors l’espion, permets-moi de puiser dans cette bouteille un peu d’eau du fleuve, et de mettre dans ce sac un peu de terre des champs avec un peu d’herbe des prés, afin que les Magyars jugent si cette terre et cette herbe sont bonnes, et si cette eau vaut celle des fleuves de leur patrie. — Fais comme il te plaira, » lui répond le Morave.

Kusid descend vers le fleuve, remplit d’eau sa bouteille et la rebouche ; il s’avance ensuite dans la plaine, prend une poignée de sable noir qu’il met dans son sac, et passe de là dans la prairie, où il en prend une autre de différentes herbes ; puis, chargé de ce fardeau, il regagne le chemin de la montagne. Son récit enchante Arpad et les Magyars, on se presse autour de lui, on l’accable de questions ; chacun veut voir et goûter l’eau, la terre et l’herbe, que l’on déclare de bonne apparence et de bon goût. Alors Arpad, mettant de cette eau dans sa corne à boire, la verse solennellement sur la terre en prononçant par trois fois cette invocation : Dieu ! Dieu ! Dieu ! que les Magyars répètent en chœur.

Quelques jours après, Kusid se remet en marche par le même chemin : il est chargé d’offrir à Sviatipolg, au nom d’Arpad et des Magyars, un grand cheval blanc qu’il conduit par la bride. Le frein de ce cheval est d’or, et sa selle est dorée avec de l’or d’Arabie. « Tiens, dit-il au duc des Moraves, voilà ce qu’Arpad t’envoie pour le prix de la terre que tu lui permettras d’occuper. — Qu’il en occupe tant qu’il voudra ! » répond Sviatipolg, toujours dans l’erreur, et s’imaginant qu’on lui envoie ce cheval en signe d’hommage et de soumission. Les Magyars, apprenant sa réponse, descendent de la montagne dans la plaine ; ils se répandent par tout le pays, s’emparant de la terre et des villages, non comme des hôtes ou des fermiers, mais à titre de maîtres, en vertu d’un droit héréditaire de propriété. Sviatipolg, à qui ces violences sont rapportées, ne sait plus que penser de la conduite de ces étrangers. Il allait leur dépêcher ses ordres, quand un nouveau messager hongrois se présente et lui dit : « Voici ce qu’Arpad et les Magyars te déclarent par ma bouche : Il