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l’Orient. Ici il a les allures somptueuses et l’attirail superbe d’un kha-kan turk. Sa tente d’apparat se compose de lames d’or articulées, qui s’ouvrent et se referment comme les branches d’un éventail ; elle a pour supports des colonnes d’or ciselé garnies de pierres précieuses. Son lit, qu’il emporte avec lui dans toutes ses guerres, est la merveille des arts, sa table est d’or, son service d’or, ainsi que ses ustensiles de cuisine. La pourpre et la soie tapissent ses écuries, que peuplent les plus belles races de chevaux ; leurs harnais et leurs selles sont d’or incrusté de diamans ; c’est en un mot toute la féerie orientale. Attila a pour armes un épervier couronné : cet oiseau, appelé turul en vieil hongrois, est peint sur son écu et brodé sur sa bannière ; il orna aussi le drapeau des Magyars jusqu’au temps de saint Étienne. L’épervier, dans la poésie traditionnelle hongroise, est le symbole d’Attila et sa personnification : Almus, arrière-petit-fils du roi des Huns, est qualifié d’enfant de Turul.

D’après le conseil de Théodoric de Vérone, Attila traverse le Rhin et entreprend la conquête des Gaules. Je ne le suivrai pas dans les détails du récit traditionnel, qui ne fait guère que résumer les légendes des pays latins, en les accommodant à sa guise et les tournant à la gloire des Huns. Il fallait s’attendre à y trouver Attila toujours vainqueur ; c’est ce qui arrive en effet, même au combat des champs catalauniques, qui ne se passe point en Champagne, comme le veut l’histoire, mais en Catalogne à cause de la ressemblance des noms. Là, un tiers de l’armée hunnique se sépare du reste, pour aller conquérir l’Espagne et le Maroc, tandis que les deux autres tiers ravagent la Gaule, parcourent la Frise, le Danemark, la Suède, la Lithuanie, et regagnent les bords du Danube par la Thuringe. Ces guerres épisodiques fournissaient aux rapsodes magyars des cadres commodes, dans lesquels la noblesse de Hongrie pouvait aisément intercaler ses aïeux.

Le retour d’Attila à Sicambrie amène entre son frère et lui la sanglante tragédie qui malheureusement appartient à l’histoire comme à la tradition. Buda, animé d’une secrète envie, a déplacé la borne posée par Attila entre leurs deux gouvernemens. Il a fait plus : au mépris des ordres de son frère, qui prescrivait que Sicambrie portât son nom, Buda l’a fait appeler Budavar, c’est-à-dire la ville, la forteresse de Buda. Irrité de ces actes de désobéissance, Attila le traite en rebelle et le tue. « Les Germains, frappés de crainte, dit à ce propos Simon Kéza, se hâtèrent de changer le nom de Sicambrie en celui d’Ethelburg, ville d’Ethel ou d’Attila, mais les Huns, qui n’avaient pas peur, continuèrent à l’appeler Budavar. » C’est aujourd’hui la ville de O-Bude, Vieille-Bude.

Maître d’une grande partie de l’univers, Attila vent régler la police