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si les encouragemens sont distribués de manière à élever, à maintenir le niveau des études, ou si au contraire les guinées prodiguées par centaines, par milliers, n’appauvrissent pas les facultés pittoresques en les condamnant à choisir un cadre trop étroit. Pour un homme de bonne foi, la réponse ne saurait être douteuse.

Depuis la mort de David Wilkie, le premier peintre de l’Angleterre est sans contredit Landseer. Je pense même que, sous le rapport du métier proprement dit, il est supérieur à Wilkie. L’opinion que j’exprime ici pourra paraître singulière à ceux qui n’ont jamais quitté la France et ne connaissent Wilkie que par la gravure ; mais elle paraîtra toute naturelle et très légitime à tous ceux qui ont passé le détroit et comparé les œuvres de ce maître éminent aux planches de Raimbach. Wilkie comme Martin, et je n’entends faire ici aucune comparaison, gagnait beaucoup à la gravure,.le me souviens d’avoir vu à Londres, il y a vingt ans, à Somerset-House, une composition qui obtenait de nombreux applaudissemens et qui les méritait par la finesse et l’originalité des physionomies : Christophe Colomb faisant l’expérience de l’œuf pour démontrer la légitimité de ses espérances. Il y avait beaucoup à louer dans ce tableau ; mais le maniement du pinceau accusait une certaine gaucherie qui ne se retrouve pas dans Landseer. C’est pourquoi ce dernier peintre me paraît, supérieur à Wilkie.

Parmi les neuf tableaux que Landseer nous a envoyés cette année, les deux que je préfère sont les Animaux à la forge et le Bélier à l’attache. Les Singes du Brésil sont une charmante fantaisie, que Decamps ne dédaignerait pas ; Jack en faction, le Déjeuner, les Conducteurs de bestiaux dans les montagnes d’Écosse, se recommandent par une vérité frappante, mais ne valent pas, à mon avis du moins, les deux compositions que je viens de nommer. Entre le Bélier à l’attache et les Animaux à la forge, si j’avais un choix à faire, je me déciderais pour les Animaux à la forge. La traduction française placée sur le cadre ne donne qu’une idée inexacte du sujet, qui s’appelle en anglais le ferrement, ou plus littéralement encore la chaussure. Le cheval est admirablement modelé, toutes les parties du corps sont rendues avec une étonnante vérité. Toutes les attaches musculaires sont accusées avec évidence, avec fermeté. Il y a pourtant dans cette œuvre, si séduisante d’ailleurs, une coquetterie de pinceau que je n’approuve pas entièrement. Je rends pleine justice au savoir de l’auteur, je reconnais volontiers qu’il possède à merveille l’anatomie du cheval, cependant, en fouillant dans mes souvenirs, je trouve le même sujet traité par Géricault, et, tout en admirant le talent de Landseer, la profondeur de son savoir et la finesse de son pinceau, je ne puis m’empêcher de préférer le Maréchal ferrant de Géricault aux Animaux à la forge du peintre anglais. Je sais tout ce qu’il y a