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Plusieurs raisons m’engagent à commencer l’examen de l’exposition universelle des beaux-arts par l’école anglaise. En premier lieu, quoique depuis la mort de David Wilkie elle n’ait pas encore retrouvé un maître aussi habile, aussi expressif, elle occupe en Europe une place considérable par les maîtres qui lui restent : il me suffit de nommer Landseer et Stanfield. En second lieu, sauf de très rares exceptions, elle ne paraît pas viser plus haut que l’imitation pure. Enfin elle n’a pour se soutenir que les encouragemens individuels ; le gouvernement anglais ne fait rien pour les arts du dessin. Il y a dans chacun de ces trois faits un élément de discussion que nous ne devons pas négliger. Les argumens purement théoriques, si excellens qu’ils soient, ne valent jamais pour la foule une démonstration appuyée sur les faits. L’école anglaise peut donc nous servir à mettre en pleine évidence les principes que nous soutenons depuis longtemps. Nous aurions beau les exposer à plusieurs reprises avec une lucidité parfaite, nous ne réussirions pas à dissiper tous les doutes. Les questions qui se rattachent à l’intelligence, à l’expression de la beauté, sont d’une nature tellement délicate, qu’elles exigent une attention vigilante. Pour vulgariser les principes acceptés comme vrais par les maîtres les plus habiles, il importe d’abandonner parfois les régions purement théoriques et d’entrer dans le domaine de l’application.

L’école anglaise se trouve à propos devant nous pour établir l’insuffisance de l’imitation. L’importance de cette considération ne peut échapper à personne et justifie pleinement notre choix. L’absence de tout encouragement public, je veux dire de tout encouragement donné au nom de l’état, ne joue pas dans l’école anglaise un rôle moins sérieux que le génie national. La peinture et la statuaire peuvent-elles se passer de cette générosité collective qui s’exerce au nom de tous ? L’école anglaise peut nous aider à résoudre cette question. On ne saurait dire sans étourderie ou sans ignorance que le génie poétique de la Grande-Bretagne soit inférieur au génie des autres nations de l’Europe ; cependant elle n’a produit ni un peintre ni un statuaire qui se puisse comparer, pour la puissance et l’autorité, à ces trois grands poètes, à Shakspeare, à Milton, à Byron. Comment expliquer cette singularité ? Par la nature du climat ? La réponse ne serait pas satisfaisante. Il me semble qu’il faut en chercher la cause dans la constitution politique et religieuse de la société anglaise. Une nation qui a produit Shakspeare, Milton et Byron ne saurait demeurer indifférente aux arts du dessin, car la peinture et la statuaire sont unies à la poésie par une étroite parenté : elle aime donc la peinture et la statuaire. L’habileté qu’elle a montrée dans l’imitation de la nature vivante prouve assez clairement qu’elle pourrait faire mieux encore, si elle était placée pour