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augmenté ses forces navales. Il s’y joignait un projet de traité permanent entre l’Autriche, la France et l’Angleterre, qui auraient pris les armes le jour où la Russie aurait eu le nombre de vaisseaux qu’elle avait avant la guerre actuelle. Ce n’était nullement, on le voit, la limitation des forces de la Russie, c’était la création d’une force rivale ; ce n’était point la cessation de la prépondérance moscovite dans la Mer-Noire, c’était l’organisation d’une lutte permanente de prépondérances ennemies, lutte qui pouvait dégénérer sans cesse en conflagration. Au lieu d’imposer une restriction au développement menaçant de la Russie, que rien ne liait dans ce système, l’Autriche imposait des charges à l’Europe. Était-ce là réellement la solution la plus conforme à l’esprit et aux termes mêmes des stipulations qui avaient réuni l’Autriche, l’Angleterre et la France ?

Le seul, le grand avantage de cette combinaison, on ne saurait le méconnaître, c’était l’alliance permanente qu’elle créait comme une force incessamment dirigée contre la Russie. C’est l’idée qui dut séduire M. Drouyn de Lhuys et lord John Russell lui-même, ainsi que ce dernier l’a déclaré dans ses explications récentes devant le parlement. Lord John Russell l’a avoué, il voyait là un moyen de terminer la guerre avec honneur, et d’obtenir, sinon la certitude, du moins la probabilité d’une paix durable. Bien d’autres ont eu la même opinion. Qu’on y réfléchisse cependant, cette alliance, qui se présente au premier abord comme le bouclier de l’Europe, elle existait moralement avant que la guerre eût définitivement éclaté : a-t-elle rien empêché ? Elle existe encore par le fait du traité du 2 décembre : qu’est décidée à faire l’Autriche ? Si le cabinet de Vienne n’a rien fait jusqu’ici malgré ses engagemens, s’il est résolu à rester simple spectateur dans une lutte où il a cependant accepté un rôle, quelle garantie offre l’alliance permanente pour l’avenir ? Chose étrange, l’Autriche, par son attitude actuelle, prend soin elle-même de montrer la fragilité de sa combinaison. Et puis, s’il faut tout dire, la proposition autrichienne reposait sur une hypothèse ; c’est que les puissances alliées resteraient constamment dans un intime accord de vues et de pensées, c’est qu’il ne s’élèverait jamais entre elles aucune de ces questions qui diminuent singulièrement l’efficacité des alliances quand elles ne les dissolvent pas, c’est qu’enfin elles auraient à tous les instans la disposition de leurs forces. Or qui pourrait garantir qu’il en sera toujours ainsi, que tous les états européens seront maîtres de leurs résolutions dans toutes les circonstances qui peuvent s’offrir ? Examinée sous ses faces diverses, cette combinaison proposée par l’Autriche tendait donc en réalité bien plutôt à éluder qu’à résoudre la question redoutable qui a mis les armes dans les mains de l’Europe. Elle ne supprimait point le danger, elle le constatait au contraire, et elle ajournait la lutte à un temps où elle pourrait s’engager peut-être dans des conditions moins favorables. Il résulte de ces faits, ce nous semble, que, même en présence de la proposition autrichienne, l’Angleterre et la France n’avaient point d’autre issue que de continuer la guerre, pour atteindre le but quelles ont assigné à leurs efforts. L’Autriche se croit libre de tout engagement par cela seul qu’elle n’a point vu sa tentative de pacification couronnée de succès. Les puissances occidentales ne lui feront pas la guerre sans nul doute pour la contraindre à rem-