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rassemblement ; la lutte était engagée, et le dimanche un irrésistible flot populaire couvrit comme une marée montante le vaste espace de Hyde-Park. On estima à plus de cent cinquante mille, dans tous les cas à plus de cent mille, le nombre des individus réunis sur ce point, parmi eux beaucoup de femmes et d’enfans, la grande majorité vêtus très décemment, et appartenant aux classes moyennes et à la classe d’ouvriers qui font fortune la semaine et aiment à prendre l’air le septième jour. Jamais, dit-on, le parc n’avait présenté un pareil spectacle ; les arbres même étaient peuplés. De nombreux détachemens de police occupaient les allées pour protéger les rares voitures qui se hasardaient dans la bagarre, et une réserve considérable était casernée dans deux bâtimens à l’intérieur du parc.

Des engagemens eurent lieu sur plusieurs points à la fois. Quelques orateurs populaires voulurent haranguer la foule, mais ils furent interrompus par l’arrivée des policemen, qui, pour arriver jusqu’à eux, frappèrent de droite et de gauche avec leur bâton. Il en fut de même du côté des voitures, où se renouvelèrent les scènes du dimanche précédent. Les policemen voulurent s’emparer de ceux qui sifflaient et criaient : A l’église ! La résistance devenant sérieuse, les détachemens de police tenus en réserve firent une charge à fond sur la masse, et il y eut de part et d’autre un nombre considérable de têtes fêlées. En dernier résultat, force resta à la loi, et au milieu des sifflets, des grognement, et des cris de : A bas les assommeurs ! environ une centaine d’individus furent, les uns mis sous clé, les autres jetés dans des fiacres et expédiés dans les dépôts de la police.

Cette histoire ressemble à celle de toutes les émeutes, et surtout des émeutes anglaises, où il est rare qu’on voie apparaître l’uniforme d’un soldat. Cette fois l’uniforme se montra, mais ce ne fut pas du côté de la légalité. Plusieurs soldats se trouvaient dans la foule, et parmi eux des revenans de Crimée portant la médaille, c’est-à-dire la décoration tout récemment accordée par la reine. Il y en eut un qui se permit de dire que les policemen se conduisaient comme des Dusses ; les policemen se jetèrent sur lui, ses camarades prirent sa défense, le délivrèrent ; un immense rassemblement se forma autour d’eux ; ils furent l’objet d’une ovation populaire ; la foule poussa trois hurrahs pour les grenadiers, et trois grognemens à l’anglaise pour la police. Ceci ressemblait beaucoup, si nous ne nous trompons, aux émeutes françaises, dans lesquelles on crie : Vive la ligne !

Le peuple finit par se disperser, non sans avoir brisé toutes les haies et toutes les barrières. Une bande nombreuse alla faire une démonstration de sifflets et de grognemens devant la maison de lord Robert Grosvenor, située auprès du parc, et qui avait une forte garnison de policemen, et ainsi se termina cette journée malencontreuse.

Cependant ce ne fut pas tout, et les scènes de désordre se renouvelèrent le lendemain au tribunal de police. Il avait été fait, comme on l’a vu, une