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ce qu’on appelle un suppôt du pouvoir. Ce sont là, selon nous, des symptômes graves, et le plus grave de tous, c’est que parmi les cent ou cent cinquante mille hommes qui ont participé à la démonstration de Hyde-Park il y avait beaucoup de ceux qui s’étaient enrôlés le 10 avril 1848 comme constables spéciaux ; cette fois ils changeaient de côté.

Le mécontentement populaire, si violemment manifesté contre la législation du dimanche, ne peut raisonnablement être attribué à cette seule cause. Il vient de plus loin. Exaspéré des désastres de son armée, profondément irrité de l’état de désordre, d’anarchie, d’incapacité et d’impuissance qu’a tout à coup révélé son administration, le peuple anglais se retourne instinctivement contre la classe qui l’a gouverné jusqu’à présent ; il s’en prend à l’aristocratie, il s’en prend à elle de tout, même de ce qui ne la regarde pas. Nous avons déjà signalé ce sentiment croissant de colère et d’amertume, d’autant plus dangereux qu’il était contenu. On a dit que le silence du peuple était la leçon des rois ; mais les Anglais en général ne sont pas silencieux : ils aiment à se plaindre. On dit chez eux : An Englishman must grumble, il faut toujours que l’Anglais grogne, c’est nécessaire à son tempérament, et c’est à cette condition qu’il ne s’insurge, pas. C’est pourquoi ce qui nous a paru de plus frappant dans l’état de l’Angleterre depuis un an, c’est surtout le silence, l’immobilité de la population, quand il était certain pour tout le monde qu’elle était profondément mécontente. Un homme dont le nom est universellement populaire, Charles Dickens, faisait l’autre jour un discours, pour la première fois de sa vie, dans un meeting pour la réforme administrative, et il disait : « Le silence lugubre dans lequel le pays est tombé en apprenant l’état de ses affaires est à mes yeux le spectacle le plus sombre qu’ait depuis longtemps offert un grand peuple. En voyant la honte et l’indignation qui pèsent sur toutes les classes de la société, en voyant ces nouveaux élémens de discorde s’accumuler sur cette base mouvante d’ignorance, de pauvreté et de crime qui est toujours sous nos pieds, que le parlement ne voit pas et n’a pas l’air de comprendre ; en voyant le mécanisme du gouvernement et de la législature continuer à tourner, toujours tourner, et le peuple faire de plus en plus la solitude autour de lui, comme pour lui laisser accomplir sa fonction dernière, celle de sa propre destruction, alors je pense et je me dis que la seule chance de salut est de secouer le sommeil du peuple, de lui rendre la voix, et de l’unir dans un effort pacifique pendant qu’il est temps encore… »

Les Anglais, disions-nous tout à l’heure, n’aiment pas les jugemens étrangers. Eux qui ne se privent pas de se mêler des affaires des autres, ils n’aiment pas qu’on se mêle des leurs. Quand on en parle, ils ont presque l’air de vous regarder comme des intrus, comme quelqu’un qui n’est pas présenté, not introduced. Aussi ont-ils coutume de dire qu’on ne connaît absolument rien à ce qui se passe chez eux, et ils haussent les épaules quand on dit que tout n’est pas pour le mieux dans leur monde. C’est pourquoi nous