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sur l’éducation de la femme : que la femme est faite pour plaire ? Ne nous y trompons pas, si la femme n’a que cette vocation frivole et misérable, le serail et le salon ont raison contre le ménage ; mais alors aussi, en recommandant aux femmes de plaire, Rousseau devait leur recommander de ne pas vieillir.

Je viens de montrer jusqu’où un faux principe pouvait conduire Rousseau ; mais on sait comment l’auteur l’Émile sait habilement se sauver du paradoxe par l’inconséquence. Le paradoxe chez lui n’est qu’une enseigne faite pour attirer le public blasé et curieux. Une fois le public attiré, Rousseau se hâte de revenir à la raison, en tâchant d’y conduire avec lui son public. Je trouve ici une application curieuse de ce procédé. Voulant prendre la femme dans l’état de nature et ne lui reconnaissant d’autre vocation que celle de plaire, il a bientôt vu où le conduirait son principe et quelle femme il aurait. Aussi, pour échapper à cette fatale conséquence, il a donné à la femme, même dans l’état de nature, la pudeur, en tâchant, il est vrai, de faire de la pudeur un instinct physique plutôt qu’une bonne qualité morale. Seulement, comme il importe peu aux bons sentimens de savoir à quel titre ils entrent dans l’âme humaine, et qu’une fois entrés, ils font leur effet salutaire, Rousseau, à l’aide de cette bonne qualité morale qu’il avait introduite comme par contrebande dans sa femme naturelle, Rousseau a pu reconstruire peu à peu la femme ; il avait une base. Il trouvait encore un autre avantage à donner la pudeur à la femme, l’avantage de contredire la plupart des philosophes de son siècle, qui traitaient la pudeur de convention et d’habitude sociale. « Je vois, dit-il, où tendent les maximes de la philosophie moderne en tournant en dérision la pudeur du sexe et sa fausseté prétendue, et je vois que l’effet de cette philosophie serait d’ôter aux femmes de notre siècle le peu d’honneur qui leur est resté. »

Si la femme a la pudeur, nous pouvons être tranquilles, elle restera femme, et elle visera à être une honnête femme, non pas à être un honnête homme, ce qui est la plus insupportable et la plus odieuse prétention dans une femme. « Dans le mépris des vertus de son sexe, Ninon de Lenclos, dit Rousseau, avait conservé, dit-on, celles du nôtre. On vante sa franchise, sa droiture, la sûreté de son commerce, sa fidélité dans l’amitié ; enfin, pour achever le tableau de sa gloire, on dit qu’elle s’était faite homme. À la bonne heure ; mais, avec toute sa haute réputation, je n’aurais pas plus voulu de cet homme-là pour mon ami que pour ma maîtresse. » Et Rousseau ajoute en note : « Je sais que les femmes qui ont ouvertement pris leur parti sur un certain point prétendent bien se faire valoir de cette franchise, et jurent qu’à cela près il n’y a rien d’estimable qu’on ne