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et pas assez de bonnes mères de famille. L’éducation perfectionnée à Saint-Cyr produira de grandes vertus, et les grandes vertus, au lieu d’être enfermées dans les cloîtres, devraient servir à sanctifier le monde. » La préface d’Esther, qui semble n’avoir trait qu’à l’instruction littéraire qu’on voulait donner aux jeunes filles de Saint-Cyr, montre aussi quel était le but où visait Mme de Maintenon, c’est-à-dire de rendre les demoiselles de Saint-Cyr « capables de servir Dieu dans les différens états où il lui plaira de les appeler, » par conséquent d’en faire, non des religieuses, mais des chrétiennes mères de famille. Enfin un ouvrage publié en 1687, un an après la fondation de Saint-Cyr, et dédié à Mme de Maintenon, l’Instruction chrétienne pour l’éducation des jeunes filles, témoigne aussi de l’esprit laïque qui animait tous ceux qui s’occupaient alors de l’éducation des filles et de la répugnance qu’on avait pour l’instruction des couvons. « Il ne faut pas, dit l’auteur de l’Instruction chrétienne, qui préfère, comme Fénelon, l’éducation domestique à l’éducation des cloîtres, il ne faut pas tenir les filles toujours liées et toujours captives, comme on fait en Italie et en Espagne ; ce serait les traiter en esclaves et leur donner plus d’envie de goûter du monde, dont on les éloigne si fort… Les mères peuvent faire voir le monde à leurs filles, mais le monde chrétien, le monde civil et poli, afin qu’elles prennent cette bonne grâce, cet air de liberté et de politesse, cet air honnête et civil qui distingue celles qui voient le monde d’avec celles qui ne l’ont jamais vu… Prenez garde, dit encore l’auteur, que les filles ne prennent un air galant et enjoué ; mais il est bon qu’elles aient de la bonne grâce, un port dégagé et un maintien naturel qui ne se compose et ne se déconcerte point[1]. »

Assurément nous sommes loin de la sévérité de la vieille éducation, plus loin encore de la vieille ignorance, et j’ai recueilli ces divers témoignages pour montrer quel était alors le nouvel esprit qui s’introduisait dans l’éducation des filles. Fénelon, le père La Chaise, l’auteur anonyme de l’Instruction chrétienne pour l’éducation des filles, Mme de Maintenon, Louis XIV, l’église et la cour pensent de même sur ce point. Il faut instruire les filles, il faut les élever pour la famille et pour le monde, où elles doivent vivre ; il faut les tirer de l’ignorance où on les tenait, soit que cette ignorance fût seulement l’effet de la négligence, soit qu’elle fût l’effet d’un système, car cette ignorance est funeste. « Les personnes instruites et occupées à des choses sérieuses, dit Fénelon, n’ont d’ordinaire qu’une curiosité médiocre ; ce qu’elles savent leur donne du mépris pour beaucoup de choses qu’elles ignorent… Au contraire les filles mal instruites

  1. Instruction chrétienne, etc., p. 156 et 177.