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à ses besoins, d’ailleurs très modestes, Dulong résolut de se consacrer aux sciences, dont il avait pris le goût, et il choisit la médecine, qui lui parut les résumer et les appliquer toutes, en même temps qu’elle offre à celui qui la pratique le bénéfice d’une carrière honorable et productive.

Le futur auteur des expériences sur le refroidissement passa ainsi sans déroger de l’École polytechnique à l’École de médecine, appliquant dans l’une les principes exacts qu’il avait puisés dans l’autre, et corrigeant par l’étude des sciences naturelles ce qu’il y a quelquefois de trop absolu dans le raisonnement mathématique, quand on l’applique à des vérités d’observation. Cependant, prévoyant déjà le terme de ses études médicales, il comprit qu’il allait être docteur à un âge où un médecin ne peut inspirer la confiance qui amène une clientèle. Il lui fallait donc non pas acquérir des connaissances, mais des années, et c’est avec une joie sincère qu’il se vit en possession d’un temps précieux qu’il pouvait dépenser à sa fantaisie. On vit alors cet homme si jeune et déjà si instruit employer à des acquisitions intellectuelles les loisirs qu’il avait mesurés, se tracer et suivre un plan de conduite morale à un âge où la préoccupation des plaisirs efface trop souvent les besoins de l’esprit. Je cite une lettre de Dulong à un de ses amis, dans laquelle il se peint lui-même avec autant de modestie que de sincérité.

« … Dans trois ou quatre ans, je serai assez instruit dans la plupart des sciences physiques ou abstraites pour en être arrivé au point où l’on doit choisir celle qui doit devenir l’objet particulier de vos méditations sans cependant perdre de vue les autres.

« Jusqu’à présent, ayant le même succès dans les unes et dans les autres, je n’aurais pas de raison pour en choisir une plutôt qu’une autre ; mais toutes ne sont pas également propres au médecin, toutes ne sont pas également propres à le faire connaître. La chimie me semble réunir le double avantage de faire comme partie de la médecine et de fournir facilement un nom. C’est donc à la chimie que je consacrerai ces dix belles années que le préjugé public me force de passer dans l’obscurité.

« … J’ai disposé mes occupations de manière à cultiver avec fruit toutes les sciences que j’étudie sans oublier la littérature et les langues…

« Je débute chaque jour par un morceau de Corneille ou de Racine, que je ne me lasse pas de relire ; ensuite je consacre une heure, une heure et demie à l’étude des mathématiques, travail pénible qui doit être longtemps continué avant de rien produire, mais indispensable à tout homme qui veut être vraiment instruit ; je vais ensuite à ma clinique, et, de retour, je m’occupe pendant deux heures des maladies que j’ai observées. Immédiatement après, je lis quelques ouvrages,