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sans que je le dise, que mon, ton, son, avec des noms féminins, font solécisme, que l’habitude seule nous fait passer là-dessus, que l’euphonie n’est pas une raison suffisante, car nous élidons l’a de l’article féminin, et l’adjonction, avec le substantif, de la lettre l, représentant de l’article, n’est ni plus ni moins euphonique que l’adjonction des lettres m, t, s, représentant les pronoms possessifs ma, ta, sa. Ce qu’on peut dire, c’est qu’au moment où cette innovation anti-grammaticale s’est établie, la population perdait le sens de ces adjonctions, qui rendaient le mot plus complexe et plus difficile à saisir ; que, pour remédier à cette diminution du sens, elle a fait le pronom possessif plus saillant, même au risque de ne pas l’accorder avec son substantif, et qu’ainsi elle avait le sentiment analogique moins délicat que celle qui l’avait précédée. Ce n’est pas en analogie, en régularité, que les langues gagnent en vieillissant ; c’est par d’autres qualités que donnent la culture et la civilisation progressive. Néanmoins elles feront toujours bien de connaître et d’étudier leur passé, source vive qui entretient leur fraîcheur. M, Génin dit : « Le Patelin nous montre cette alliance des deux genres pratiquée au XVe siècle, et en voici un exemple qui remonte au XIIIe (si le passage n’est altéré) ; » puis il cite un vers du Roncisvals. Roland à l’agonie s’écrie :

Dame Diex père, mon âme et mon cors à vous rent ;


c’est-à-dire : « Seigneur Dieu père, je vous rends mon âme et mon corps ; » mais le passage est certainement altéré. Le vers n’y est pas, et justement pour qu’il y soit, il suffit, au lieu de mon ame, de lire m’ame, comme le veut la grammaire ancienne ; ou si, comme je le suppose, le vers est, non de douze syllabes, mais de dix, on lira :

Dame Dex père, m’ame et mon cors vous rent.


Sylvius, dont la grammaire parut en 1531, dit que les mots féminins estable, exemple, évangile, œuvre, espée, ame, espouse, estoile, amoureuse, s’unissent au pronom possessif masculin pour éviter une élision, et qu’il serait trop dur de dire : m’eslable, m’exempte, m’espée, etc. Pour ma part, je ne vois rien de dur à cela ; seulement la remarque de Sylvius prouve que dès lors cette anomalie était pleinement entrée dans l’usage, de sorte que l’oreille jugeait dur ce qui lui était étrange, genre d’illusion dont l’oreille est très souvent la dupe dans les langues. Cependant, vu l’absence de tout exemple d’une pareille connexion dans les siècles antérieurs, vu la présence de cet usage dans les textes du XVe siècle, je ne doute pas qu’il se soit introduit vers la fin du XIVe et le commencement du XVe alors qu’agirent les causes qui modulèrent profondément le français. La règle des adverbes, qui est liée à celle des adjectifs, est observée