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REVUE DES DEUX MONDES.

il renonça aux lettres et se retira dans sa terre de Wiepelsdorf, où il vécut quelques années encore en country gentleman, et mourut d’une subite attaque de paralysie le 21 février 1831.

À défaut du caractère trop souvent bizarre et peu accessible de ses compositions, ces quelques détails biographiques suffiraient pour faire comprendre comment la popularité lui a toujours manqué. Écrivain à bâtons rompus, poète, mais seulement aux heures de rêverie et d’inspiration, et quand tous ses devoirs de société et de famille lui permettaient de l’être, Arnim n’avait rien en soi de l’homme de lettres tel qu’on se le représente, rien de cet esprit de suite et d’application qui commande le succès. La littérature ne fut jamais pour lui une carrière, mais tout simplement un noble exercice des facultés de l’intelligence, le goût et la fantaisie d’un honnête homme qui ne demande à l’étude que les jouissances de l’étude, et qui serait le premier à s’étonner si on venait lui dire que la fortune et la renommée lui seront données par surcroît. Je ne parle pas de ces misérables pratiques de camaraderie, alors comme aujourd’hui en usage dans le monde des lettres, et dont il va sans dire qu’il se tint constamment éloigné. Même parmi les romantiques, il vécut à l’écart, et ces alliés sur lesquels il aurait dû naturellement compter, lui trouvant sans doute trop d’indépendance, ne l’adoptèrent jamais qu’avec certaines réserves. Tieck, le garde-note de la communauté, ne parle jamais d’Arnim qu’incidemment, et quand par hasard il le cite, c’est pour l’appeler du bout des lèvres M. d’Arnim. Or on sait ce que signifie en pareil cas ce style de cérémonie. Tous ces motifs réunis compliquaient singulièrement pour nous la tâche du critique et du biographe, Arnim n’ayant pour ainsi dire laissé de trace nulle part, si ce n’est dans ses œuvres, lesquelles dorment ça et là dispersées sous la poussière des bouquinistes de Berlin et de Francfort. Aussi était-ce une vraie joie, dans nos promenades, de les retrouver, et avec elles souvent d’autres productions de cette période si féconde en beaux esprits trop oubliés aujourd’hui. Le nom d’Arnim, quoi qu’on en pense, ne saurait demeurer englouti dans l’abîme du temps. L’Allemagne y reviendra, car nul poète n’a mieux connu la fibre populaire. Pour moi, c’est ce caractère profondément humain qui me le fait aimer. Même en ses fantaisies les plus bizarres et ses plus folles divagations, vous retrouvez vestige d’un noble cœur, plein de compassion pour les souffrances de ses semblables, de sympathies pour leurs misères, et vous vous rappelez involontairement cette tradition si connue de tous les forestiers de la vieille Allemagne, et qui dit que toute balle porte, alors que nous l’avons d’avance trempée dans notre propre sang.


Henri Blaze de Bury.