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ceux d’Octave et de Lépide. Il est jeune, plutôt maigre que gras ; il a l’œil mauvais et la bouche méchante ; ces lèvres sèches demanderont la tête de Cicéron, et ce n’est pas cet autre triumvir, le froid Octave, qui, bien qu’il ait appelé Cicéron son père, s’il y trouve l’intérêt du moment, la lui refusera. Quant au comparse du triumvirat, Lépide, c’est un assez beau garçon qui a l’air fort content de sa personne, et qui ne causera pas aux deux autres grand embarras. Il signera de cet air aimable que voilà autant de proscriptions qu’on voudra.

La mode sanglante des proscriptions est interrompue. C’est par la guerre civile, qui vaut mieux, bien qu’elle soit une triste chose, c’est par la guerre civile que se combattent maintenant les deux grands champions de la cause patricienne et de la cause populaire. Perdues l’une et l’autre, désormais elles ne seront plus qu’un prétexte pour l’ambition de Pompée et de César.

Pompée a une figure un peu lourde, mais assez honnête, os probum. On y remarque une certaine satisfaction de soi-même qu’ont volontiers les hommes dont la valeur est moindre que le rôle. Je crois que Pompée était un de ces hommes et qu’il fut toujours, en dépit de son nom, Magnus, plus vain que grand. Une certaine rondeur molle dans les contours annonce l’indécision qui le perdit. On sent que ses lenteurs et ses incertitudes échoueront contre l’énergie et la décision de César. La différence de ces deux hommes est manifeste dans tout ce qu’on sait d’eux, mais rien ne les peint mieux que deux inscriptions qu’ils composèrent, celle de Pompée disait : Cn. Pompeius Magnus imperator, ayant terminé une guerre de trente années, ayant battu, mis en fuite, tué, réduit en captivité cent quatre-vingt mille hommes, ayant abîmé ou pris sept cent quarante navires, reçu la soumission de quinze cent vingt-huit forteresses, ayant subjugué toutes les contrées qui s’étendent de la Mer-Rouge jusqu’aux Palus Méotides… » Quand aura-t-il tout dit ? L’inscription de César était plus brève : « Veni, vidi, vici, je suis venu, j’ai vu, j’ai vaincu. » Évidemment l’auteur de celle-ci devait battre celui qui avait rédigé l’autre.

Il n’y a pas à Rome de plus historique statue que la statue de Pompée, qui avait été relevée par César, et au pied de laquelle César fut frappé. Le lieu où elle a été trouvée rend ce fait à peu près certain. On sait que le meurtre de César s’accomplit dans la curie attenant au portique de Pompée, et l’on sait où était ce portique voisin de son théâtre, dont les londoniens subsistent sous un palais de Rome. On sait encore qu’Auguste avait fait enlever de la curie et placer sur un janus la statue de Pompée au-devant de la basilique