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acheter un pain le jour qui suivit son évasion de l’auberge : les quatre autres lui restaient encore, l’occasion de les employer ne s’étant pas présentée. Il déchira le collet de sa chemise, le jeta dans une haie, et se hasarda à accoster un charpentier qui travaillait à une palissade pour lui demander de l’ouvrage. Le charpentier n’avait pas besoin d’aide ; mais il lui dit que, s’il entendait les travaux des champs ou du jardinage, sir John Millet, dont l’habitation n’était pas très éloignée ; pourrait lui procurer peut-être du travail. Il avait d’autant plus de chances d’en trouver là qu’à cette époque de l’année le baronnet employait beaucoup de monde.

Encouragé par la perspective de ne pas mourir de faim, Israël se mit à la recherche de l’habitation du gentilhomme. Il se trompa de chemin, et, en longeant une belle allée bien sablée, fut saisi de terreur à la vue d’un assez grand nombre de soldats réunis dans un jardin voisin. Il battit en retraite avant d’avoir été vu. Une bête fauve des solitudes américaines n’aurait pas ressenti plus d’émotion au bruit d’une arme à feu qu’Israël à l’aspect d’un habit rouge. Il apprit plus tard que ce jardin appartenait à la princesse Amélie.

Le fugitif prit un autre chemin et rencontra bientôt des ouvriers qui charriaient du sable : c’étaient les gens de sir John Millet. Ils lui indiquèrent la maison, où on lui montra le squire se promenant tête nue dans son parc avec quelques hôtes. Israël avait entendu parler de la fierté des nobles anglais ; aussi son émotion fut-elle grande au moment de s’approcher de cet imposant étranger. Néanmoins il rassembla tout son courage et s’avança, tandis que les gentlemen, voyant venir à eux un homme couvert de guenilles, attendaient avec un certain étonnement.

— Monsieur Millet ? dit Israël en s’inclinant devant le gentilhomme.

— Eh bien ! qui êtes-vous, je vous prie ?

— Un pauvre homme qui a besoin d’ouvrage, monsieur.

— Et d’une garde-robe aussi certainement, dit un des hôtes, jeune homme d’un aspect élégant, satisfait de lui-même et content de la vie.

— Où est votre houe ? dit sir John.

— Je n’en ai pas, monsieur.

— Ni d’argent pour en acheter ?

— Quatre pennies anglais seulement, monsieur.

Pennies anglais ! Et de quel pays voulez-vous qu’ils soient ?

— Des pennies chinois peut-être, dit en riant le jeune gentilhomme qui avait déjà parlé. Voyez sa longue queue de cheveux roux ; il a l’air d’un Chinois vraiment. Quelque mandarin ruiné, je parie.

— Voulez-vous m’employer, monsieur Millet ? dit Israël.