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dans la conférence émaneraient de l’initiative du gouvernement russe, et il n’y aurait plus qu’à se demander après cela comment la guerre a pu éclater. Est-il question de la liberté de la navigation du Danube, la Russie assure que l’Angleterre et la France n’ont pas besoin de verser leur sang pour un résultat désormais acquis. Il n’est pas moins vrai que ce résultat est le prix de la guerre et du sang versé. S’agit-il des principautés, la Russie proclame que sa tâche est accomplie et que tous les vœux de sa politique sont comblés dès que les immunités des provinces danubiennes sont placées sous la garantie collective de l’Europe. Le manifeste du cabinet de Petersbourg s’étend assez complaisamment sur les bienfaits dont le protectorat russe a doté les principautés : bienfaits d’une singulière nature, il faut l’avouer, et redoutés des Moldo-Valaques encore plus que la suzeraineté ottomane ! La Russie oublie qu’il y a deux ans à peine elle envahissait les principautés en pleine paix, sans nul motif, ce qui était étrangement respecter leurs immunités, et qu’il a fallu l’arrivée des armées alliées en Orient, la menace de l’intervention autrichienne, pour la faire reculer derrière le Pruth. La Russie oublie que la mission du prince Menchikof date de deux ans à peine, qu’à cette époque elle ne voulait souffrir aucune intervention dans ses différends avec la Turquie, et que la première note de Vienne elle-même disparaissait sous le coup de ses hautaines interprétations. En un mot, la Russie oublie comment est née la guerre et comment l’Occident a été nécessairement conduit par la force des choses à poser le principe d’une limitation de la puissance moscovite.

Il faut bien l’observer en effet : la guerre est là tout entière aujourd’hui, ou elle est sans objet. Toutes les autres conditions ne sont que des corollaires ou l’application de ce principe de limitation. Puisque la Russie est en si bonne voie de dispositions pacifiques dans ses manifestes, il semblerait naturel qu’elle eût réservé un peu de ces dispositions pour arriver à résoudre la question dans laquelle se résume toute la guerre désormais. Et sur ce point quel a été son système de conduite ? Elle n’a cessé de repousser toute limitation de forces. L’article officiel du Journal de Saint-Pétersbourg fait même connaître que le prince Gortchakof n’avait accepté les quatre garanties qu’en les interprétant à sa manière. L’intention de la Russie de ne rien concéder a éclaté assez clairement dans les négociations de Vienne, et elle est devenue plus palpable encore dans la dernière conférence, dont le protocole est aujourd’hui public. L’Autriche présentait un projet de pacification. Ce projet reposait sur le principe de la limitation, ainsi que l’a fait remarquer M. de Bourqueney. Le représentant du tsar a-t-il admis ce principe ? Il a nettement articulé au contraire un nouveau refus. Dès lors à quoi pouvait-il servir d’en référer à Saint-Pétersbourg, comme l’a offert le prince Gortchakof ? Il n’y avait plus de but pour la discussion ; par le fait même, la conférence se trouvait rompue, et la responsabilité de cette rupture pèse évidemment tout entière sur la Russie. Le cabinet de Petersbourg affirme, dans son dernier manifeste, que ce sont les puissances occidentales qui ont rendu les négociations infructueuses par leur refus d’accéder aux propositions autrichiennes. On voit ce qui en est. La vérité est que l’Angleterre et la France n’ont point trouvé le projet de l’Autriche efficace dans la forme, et que la Russie en a