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toute crainte de guerre civile. Trois jours se passent sans que le roi reçoive d’informations exactes sur la marche de ses ennemis, tant il est vrai que la conspiration est devenue générale et que tout le monde en est complice. Le malheureux roi d’ailleurs avait trop mal traité ceux qui l’avaient averti les premiers pour qu’on voulût risquer, sans un bien rare dévouement, de s’intéresser à sa cause. Il avait durement reproché à Stedingk (c’était le vieux et respectable ministre de Suède à Saint-Pétersbourg) et à Rodais d’avoir voulu le tromper, et, dans un de ces accès de colère multipliés par le désespoir, il avait failli percer Stedingk de son épée. Durant ces trois jours cependant les conjurés avaient combiné à l’aise toutes leurs manœuvres. Le 12 au soir, Gustave reçoit d’Orebro l’avis officiel que les révoltés viennent d’arriver dans cette petite ville, située à une soixantaine de lieues à l’ouest de la capitale. Une de ses premières pensées est d’envoyer demander pardon à Stedingk, à ce fidèle serviteur, et on le voit pleurer sur une erreur qui devait lui montrer d’une seule fois tout son aveuglement passé. L’indécision et le trouble président à ses résolutions, et personne pour le conseiller ou du moins l’assister. La reine est restée à Haga ; le duc de Sudermanie, son oncle, est peut-être complice. Gustave ordonne de fermer les portes de la ville, celles du château ; il convoque les dignitaires de l’état ; il restera dans la ville, il se défendra jusqu’à l’extrémité dans le palais ; puis, changeant d’avis, il ordonne d’imprimer et de répandre par tout le pays une proclamation ; il sortira le lendemain de Stockholm, ira rejoindre l’armée du sud, qu’il croit fidèle comme son général (Toll) ; il transportera dans une ville de Scanie le siège du gouvernement, et il verra bien si la capitale osera trahir la cause de son roi et persister longtemps dans sa révolte. Par contre, aux derniers avis de ceux qui le supplient encore d’accepter les conditions de la Russie, il répond par des argumens tirés de l’Apocalypse ; il sait bien d’ailleurs que le mois de mars doit lui être funeste, tant son esprit est plein de confusion et de vertige. La nuit du 12 au 13 se passe dans les préparatifs du départ. Le lendemain matin, Gustave, qui manque d’argent, fait avertir les commissaires de la banque qu’ils aient à lui remettre les fonds de l’état, et sur leur refus il s’apprête à faire enlever de vive force une somme de deux millions. Il n’eut pas le temps d’exécuter cette violence : Adlercreutz, en apprenant l’ordre donné par le roi pour le départ, s’était souvenu de ses engagemens, et la catastrophe finale avait été dès lors résolue dans son esprit.

Stockholm offrait, pendant la matinée du 13 mars, un singulier spectacle. Les voitures préparées pour le départ du roi, les chariots de bagage et ceux du train nécessaires aux troupes désignées pour le suivre encombraient les rues et particulièrement les abords du château. Aides de camp, courriers et ordonnances se croisaient en