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La monnaie est donc douée d’une valeur variable comme toutes les marchandises, et toutes les dénominations législatives ne sauraient lui donner une fixité contraire à sa nature. Cependant l’or et l’argent peuvent ne pas varier d’une manière égale ; la valeur de l’un peut se soutenir pendant que celle de l’autre fléchit : ne pourrait-on pas prendre pour monnaie légale celui de ces métaux dont la valeur serait le plus fixe, et parer ainsi aux inconvéniens les plus graves de la variabilité naturelle du prix des métaux précieux ? L’argent, dont la production semble plus limitée que celle de l’or, remplit-il cette condition ?

Les hommes se servant de métaux précieux presque depuis le commencement du monde, il semble que cette question devrait être facilement résolue par les témoignages de, l’histoire. Il n’en est pas ainsi pourtant. Les auteurs grecs et romains étaient peu initiés aux questions commerciales, et ils ont été sur ces matières d’assez mauvais observateurs. Si Hérodote, Strabon, Pline ou Tite-Live avaient été des changeurs ou des publicains, ils nous auraient transmis sur les monnaies de l’antiquité les documens précis et positifs que les érudits modernes se sont efforcés de suppléer par des recherches savantes. Il faut honorer les travaux aussi ingénieux que profonds de MM. Letronne, Bœck, et surtout de M. Dureau de La Malle, mais il faut regretter que leurs démonstrations soient parfois incomplètes et trop souvent contradictoires.

D’après Xénophon, le rapport de l’or à l’argent était de son temps de 1 à 10, Hérodote le porte de 1 à 13 ; il descendit à moins de 1 à 9 quelques siècles après, lorsque César, plus heureux que Catilina, eut pris Rome et partagé à ses complices le trésor public, qui contenait une quantité d’or correspondante à 2 milliards de notre monnaie. Ce rapport se releva un siècle après de 1 à 11 et à 12, puis, suivant une loi de Valentinien, au IVe siècle, de 1 à 14,4, et enfin, suivant une loi d’Honorius et de Théodose le Jeune, de 1 à 18[1].

Sans discuter l’exactitude plus ou moins rigoureuse de ces chiffres, empruntés à des textes authentiques, mais susceptibles d’interprétations diverses, tant à cause de la différence des valeurs légales et des valeurs commerciales qu’à raison des titres différais des monnaies, surtout de celles d’argent, il faut remarquer que les variations du prix de l’or et de l’argent ont été aussi considérables et même plus considérables dans l’antiquité que depuis la découverte de l’Amérique ; il faut observer surtout qu’elles ont été alternatives, tantôt en faveur de l’argent, tantôt en faveur de l’or, et que c’est au milieu de la plus grande de ces variations, sous Jules César, que

  1. Dureau de La Malle, Économie politique des Romains, t. Ier, p. 85 et suivantes.