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France, l’empereur le reçut une dernière fois avec une touchante bonté : « J’aime à espérer, lui dit-il, que vos nouveaux intérêts seront toujours d’accord avec vos anciens devoirs. Vous êtes appelé à de belles et honorables destinées ; quel que soit votre avenir, votre cœur appartiendra toujours à la France. Mes souhaits vous accompagneront, et si je puis vous être utile, vous pouvez toujours compter sur moi. » Il rappela ensuite tous les hauts faits qui avaient rempli la vie du maréchal, et dont le souvenir, ajoutait-il, devait rattacher si étroitement les Suédois à la France. Comme la princesse royale était visiblement émue, il lui prit affectueusement la main, lui vanta l’avenir qui l’attendait, et lui dit qu’elle devait l’accepter avec joie par amour pour son fils. Puis, attirant à lui le jeune prince, son filleul, et caressant sa chevelure gracieuse : « Mon enfant, dit-il, vous voilà destiné à porter une couronne. Un jour vous en sentirez le fardeau. Aussi longtemps que le bonheur vous sourira, vous ne manquerez pas d’admirateurs. Je souhaite que vous ne connaissiez jamais l’adversité, afin que vous n’appreniez pas à mépriser les hommes ! » Évidemment l’empereur luttait secrètement contre les pressentimens qui l’obsédaient, et cette lutte était pleine de grandeur.

Nous touchons à la date fatale de 1812. Les publicistes russes prétendent que 1812 a été pour la Suède l’heure de la délivrance, le signal d’une ère nouvelle et toute prospère, grâce à la protection de la Russie. Les deux épisodes que nous venons d’exposer, c’est-à-dire l’explosion du ressentiment national en Suède après la mort du premier prince royal et la nomination de Bernadotte, ont sans doute prouvé suffisamment que la Suède n’attendait pas alors son salut du côté de la Russie. Nous devrons examiner prochainement ce qu’a été la politique de 1812, quels reproches ou quelle justification l’expérience des destinées ultérieures de la Suède lui a mérités. Des renseignemens nouveaux sur ce curieux sujet nous viendront en aide ; mais nous pouvons affirmer dès maintenant que les événemens de 1812, de quelque façon qu’on veuille les apprécier, sont rangés au nombre des plus pénibles souvenirs dans la double histoire de la France et de la Suède. Et quant aux résultats qu’ils ont amenés, nous devrons, — au nom de Bernadotte lui-même, que les correspondances diplomatiques nous montreront accablé sous le fardeau de l’amitié russe, — n’être pas d’accord avec ceux qui veulent exalter toute sa conduite en se donnant comme les plus désintéressés amis de la Suède contemporaine et de sa dynastie.


A. GEFFROY.