Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 11.djvu/1280

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

son bon ami, un bouquet. Il vous laisse le pays entre le Kalix et le Tornéo. » En effet, Alexandre avait lui-même, au crayon rouge, marqué sur la carte le fleuve Tornéo comme devant former définitivement la frontière, et il terminait son message par ces lignes : « Le Tornéo et le Mounio seront donc désormais la limite commune. Je ne consentirai jamais à céder la ville de Tornéo. Si la paix n’est pas signée immédiatement après que vous aurez reçu cette lettre, je vous ordonne de rompre toute négociation, et le sort des armes décidera quelles seront mes conditions ultérieures. » Il fallait bien se soumettre. Deux jours après fut signé l’acte célèbre qui, en reculant la limite actuelle de la Russie jusqu’à l’extrémité nord-ouest de la Baltique, a consacré le plus bel accroissement de puissance qui lui soit échu depuis le commencement du siècle, fondé sa marine et ruiné son ennemi. On lit dans les dépêches de Stedingk au sujet de cette mutilation de la Suède : « La vengeance divine effacera un jour, j’en ai la ferme espérance, cette page de nos annales. Le ciel m’est témoin que j’eusse mieux aimé signer ma mort que de signer cette paix. Cette paix est un malheur pour la Suède, mais un malheur inévitable. » Skiöldebrand, l’autre négociateur, fit graver sur le cachet qui lui avait servi de sceau cette simple parole : exoriare, qu’il était facile d’interpréter pour peu qu’on se souvînt du vers de Virgile :

Exoriare aliquis nostris ex ossibus ultor !

Les Suédois avaient cru en traitant acheter leur indépendance intérieure ; tel devait être le premier fruit de la paix conclue avec le cabinet de Saint-Pétersbourg, celui dont se prévalent les modernes défenseurs de cette politique et de ce traité. « La Suède, disent-ils, tant qu’elle fut en possession de la Poméranie et de la Finlande, était un corps mal constitué, exposé de tous côtés, partout vulnérable, entraîné dans tous les conflits du continent, toujours sur le qui-vive, menace perpétuelle pour ses voisins, qui, par conséquent, étaient intéressés à l’affaiblir, en proie à leurs menées et à leurs intrigues, sans cesse agitée, fiévreuse, démoralisée[1]…. » Voyons

  1. Article publié dans le second numéro du journal russe le Nord, de Bruxelles, et daté de Hambourg. Cet article contient une sorte de réponse aux idées que nous avons publiées sur les intérêts du Nord dans la question d’Orient. La thèse générale mise en avant par l’auteur en opposition avec la nôtre, c’est que la Russie est l’amie et la protectrice naturelle de la Suède. La Suède d’aujourd’hui avec la Norvège annexée serait plus puissante que la Suède maîtresse de la Finlande et de la Poméranie. — Il nous paraît inutile de soumettre à une discussion en règle ces étranges assertions du publiciste russe. Tout notre travail a justement pour objet d’apporter successivement, suivant l’ordre des temps, des preuves contraires à de telles affirmations, et l’époque de l’histoire de Suède que nous retraçons en ce moment même nous les offre, on peut le voir, surabondamment.