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ressource du cannibalisme, — the last resource, comme l’appelle le docteur Rae dans son rapport.

Ce récit rencontra en Angleterre beaucoup d’incrédules, et souleva par ses derniers détails une véritable indignation. On se refusait à croire que les souffrances de la faim pussent transformer en cannibales des hommes civilisés, des marins anglais, choisis parmi l’élite de la marine royale. On fit remarquer, et avec raison, que les Esquimaux qui avaient transmis cette histoire lamentable à Rae ne la tenaient que de seconde main. On rappela que ces peuplades craintives et misérables n’ont aucun respect pour la vérité, qu’elles se plaisent à forger les fables les plus invraisemblables et les plus grossières. On accusa enfin les Esquimaux eux-mêmes d’avoir assassiné les hommes blancs pour s’emparer de la poudre, des armes, des instrumens de toute sorte qu’ils possédaient. Pour l’honneur des nations civilisées, on doit refuser de croire la dernière partie du récit des Esquimaux ; mais on ne peut pas le rejeter tout entier. Les objets que Rae racheta des Esquimaux, et qui avaient appartenu sans aucun doute à la troupe de Franklin, compas, boutons, couverts d’argent, etc., donnent la preuve à peu près certaine qu’il s’était dirigé vers ces régions après l’hiver passé dans l’île de Beechy. Pourquoi fut-il obligé de descendre vers la Terre du roi Guillaume plutôt que de suivre les rivages du détroit de Barrow, si fréquenté par les baleiniers ? C’est ce qui reste encore inexplicable.

Toutes les expéditions qui se dirigèrent vers le nord et l’ouest du détroit de Barrow firent donc fausse route. Les seules qui avaient quelque chance de sauver Franklin étaient celles de sir James C. Ross, du capitaine Bird, et plus tard de Forsyth et de Kennedy, qui seuls explorèrent le canal du Prince-Régent.

Sir James Ross devait visiter le détroit de Barrow jusque vers le cap Walker et les rives occidentales du canal du Prince-Régent, le long du Sommerset du nord et de Boothia jusqu’aux environs du pôle magnétique. La troupe de Franklin suivit les mêmes rivages dans l’intervalle des années 1846 et 1850. Or c’est précisément en 1848 et 1849 que Ross fit son expédition : malheureusement il ne s’avança pas assez profondément vers le sud ; il s’arrêta au 71e degré de latitude. Quelques lieues seulement le séparaient peut-être à ce moment de Franklin.

En 1851, le capitaine Kennedy alla explorer à son tour le canal du Prince-Régent. Il emmena avec lui un jeune officier français, M. Bellot ; ils établirent que le Sommerset du nord, qu’on avait toujours cru lié au continent, est une île séparée de Boothia par un passage qui fut depuis nommé passage Bellot. Leur voyage fut semé de nombreuses péripéties : ils furent séparés un moment de leur vaisseau