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Saint Augustin et sainte Monique il a trouvé moyen de modeler la forme humaine avec plus d’évidence et de pureté ? Ses amis l’affirment, et nous ne pouvons ni contredire leur avis ni l’approuver.

Quant aux absens qui ne refusaient pas de comparaître et qui cependant n’ont pas comparu, ou ne figurent que d’une manière incomplète, il y en a plusieurs dont les noms ne manquent pas d’importance. Il me suffira de citer MM. Gleyre et Barye. Pourquoi le Soir de M. Gleyre n’a-t-il pas quitté la galerie du Luxembourg ? Il dépendait de l’administration de l’envoyer au palais des Beaux-Arts. Nous n’avons de Barye qu’un Jaguar ; pourquoi le Centaure et le Lapithe n’ont-ils pas quitté le musée du Puy ? Pourquoi les deux lions des Tuileries ne figurent-ils pas à l’exposition ? Qu’on détache de l’Hôtel de Ville l’Apothéose de Napoléon, du Louvre l’Apothéose d’Homère, ce n’est pas moi qui m’en plaindrai. Cependant, pour nous donner une idée complète de l’école française, il n’eût pas été hors de propos de traiter MM. Gleyre et Barye comme M. Ingres. Le Centaure et le Lapithe auraient enseigné aux étrangers la mesure du talent de l’auteur, tandis que le Jaguar n’en montre qu’une face. Quant au Soir de M. Gleyre, c’est une des compositions les plus délicates et les plus châtiées de notre école ; c’est pourquoi je regrette l’oubli complet où l’on a laissé ce charmant tableau. Toutefois, malgré ces fâcheuses lacunes, nous avons devant nous un ample sujet d’étude.

Il y a dans l’école française trois noms qui dominent tous les autres et qui montrent les tendances diverses de notre génération dans le domaine de la peinture : Ingres, Delacroix et Decamps. Quiconque a bien étudié les œuvres de ces trois artistes sait à quoi s’en tenir sur l’état du génie français. Au-dessous d’eux, on trouve des hommes d’un talent éprouvé ; mais ils résument l’esprit de notre génération, et, quand on les connaît bien, on possède la notion générale de l’art contemporain. Autour de ces trois noms se rallient des disciples nombreux, des admirateurs fervens ; c’est pourquoi, avant d’entamer l’examen des œuvres nouvelles soumises à notre jugement, il convient d’estimer la valeur de ces trois maîtres.

L’Europe entière voit dans M. Ingres le représentant le plus fidèle, le plus persévérant et le plus pur des traditions de la renaissance, et l’Europe ne se trompe pas. L’illustre auteur de l’Apothéose d’Homère a choisi dans le passé la période la plus glorieuse et la plus féconde, et cette période est devenue pour lui un sujet d’étude exclusif. On l’accuse d’intolérance, on lui reproche de méconnaître tout ce qui a précédé, tout ce qui a suivi Raphaël. L’accusation serait grave, si M. Ingres voulait enseigner l’histoire de la peinture : une doctrine si étroite le mènerait k l’injustice ; mais dans la pratique de