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c’est-à-dire que je me tenais à dix pas d’elle, et qu’arrivée au petit escalier du Muséum, elle me faisait un petit sourire amical. Elle traversa la grande cour, suivant son habitude, en donnant le bras à la dame blonde ; mais ce qui n’était jamais arrivé, à peine à moitié du grand escalier elle se retourna une fois, puis une autre, puis encore, semblant me dire : Venez donc ! Était-ce là l’interprétation à donner à sa physionomie ? Jouissait-elle de plus de liberté en l’absence de la dame sévère habillée de noir ? J’étais en ce moment dans l’avenue des tilleuls, le corps en avant comme si une force inconnue me poussait vers elle ; mais une autre puissance mystérieuse me clouait les pieds au sol, je ne pouvais ni reculer ni avancer. Mes bras furent plus hardis que mes jambes, du moins mon bras droit, qui se chargea de retirer mon chapeau et de le secouer dans la direction de la jeune fille. Trois faits se passèrent ainsi en un seul instant : mon ami qui me regardait saluer sans connaître où les saluts s’adressaient, — l’action de saluer, — et la dame blonde qui se retourna à un imperceptible coup de coude que lui donna la jeune fille. Telle fut la position qui m’a le plus embarrassé de ma vie : la dame blonde m’avait vu ; elle était prévenue ; elle était donc la confidente ; si elle recevait de pareilles confidences, sans doute elle n’était pas la tante de la jeune fille, une amie tout au plus. Je pouvais donc traverser la cour, grimper l’escalier, me présenter aux dames, parler… Je ne le fis pas, et j’en aurai un éternel remords ! — Eh bien ! Josquin ? me demanda mon ami frappé sans doute de l’émotion extraordinaire qui me tenait ; mais je ne lui répondis pas, fis la grimace, mécontent de moi-même et désireux de rester seul avec mes pensées.

Combien de temps je restai sous les tilleuls sans feuilles, c’est ce que j’ignore ; le froid seulement vint me prévenir que j’étais exposé à la neige ; autrement j’aurais pu songer encore longtemps à de belles et éloquentes phrases qui sortaient de ma bouche comme les pierreries de la bouche des fées. Il était bien temps de discourir, maintenant que la jeune fille et sa compagne avaient disparu. J’étais honteux de ma faiblesse, honteux de mes actions. Il me souvenait des mouvemens de la jeune fille, qui avait pris la peine de se retourner trois fois pour m’inviter à venir lui parler, et je me sentais plein de dépit. À mesure que mon émotion disparaissait, il m’était donné de voir plus clair : ce petit coup de coude qui avait fait retourner la dame blonde, et qui m’avait tant effrayé, m’indiquait son rôle de confidente. La jeune fille lui avait tout conté : un jeune homme ne la quittait pas des yeux, la suivait à la sortie, accrochait des bouquets de violettes dans le guichet. Il fallait en savoir davantage, on avait écarté adroitement la dame sévère afin de permettre au jeune homme