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croyaient ainsi, le prix de leur long dévouement, s’indignaient à la pensée d’un obstacle élevé entre leurs espérances et le but, si longtemps poursuivi, de leurs ambitions. Cependant Mazarin parvint à faire comprendre à la princesse, à l’aide d’intermédiaires habiles, que ce moyen terme avait été nécessaire pour décider le roi, et qu’il présentait pour elle des avantages manifestes. Il lui fit exposer qu’il était d’une haute importance pour sa sécurité comme pour son honneur de voir son pouvoir consacré par la volonté formelle de son époux, et que cet avantage ne serait aucunement infirmé par les conditions limitatives au moyen desquelles il était obtenu, car ces conditions n’empêcheraient pas le parlement, dont les intentions étaient bien connues, d’attribuer à la reine régente la plénitude du pouvoir : ceci deviendrait plus facile encore lorsqu’on verrait les membres du conseil de régence, le cardinal tout le premier, renoncer hautement, en invoquant l’intérêt public, au bénéfice de stipulations destinées à ne pas survivre à celui qui les avait signées.

La reine, qui avait toujours l’instinct de ses intérêts vrais lors même qu’elle les compromettait par ses fautes, se rendit à ces raisons fort plausibles, et elle ne sut nullement mauvais gré à Mazarin, avec lequel elle n’avait eu jusqu’alors presque aucun rapport, de la part qu’il avait prise à la rédaction d’un acte qui, s’il n’était pas nécessaire pour lui conférer le pouvoir, la dérobait du moins à l’humiliation d’une flétrissure. Trois jours après la mort de son époux, Anne d’Autriche, pleine de confiance, se rendit donc au parlement pour y faire tenir par un roi de cinq ans son premier lit de justice. Elle y entendit l’avocat-général Talon déclarer que « toutes les précautions contraires à la liberté de ceux qui commandent peuvent être ou des occasions de division ou des empêchemens de bien faire, et requérir en conséquence que toute limitation fût supprimée dans l’exercice du pouvoir conféré à la reine par le testament du feu roi. » Les membres du conseil de régence s’empressèrent d’adhérer à ces conclusions, et l’un d’eux, dépassant ses collègues par l’ardeur de ses protestations, déclara que « l’autorité de cette sage princesse ne saurait jamais être trop grande, puisqu’elle était entre les mains de la vertu même. » C’était le chancelier qui naguère, au Val-de-Grâce, avait, par ordre de Richelieu, porté la main sur la reine pour la fouiller.

Quel calcul conduisit Anne à laisser aux mains de ses anciens persécuteurs le pouvoir qui lui arrivait ainsi rehaussé par la flatterie et par la bassesse ? Pourquoi le délégua-t-elle à Mazarin qu’elle ne connaissait que comme la principale créature de son ennemi ? Comment celui-ci devint-il premier ministre ? Comment tous ses collègues restèrent-ils dans le conseil lorsqu’on s’attendait à les voir