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des ovations. Sa magnifique demeure était le rendez-vous non-seulement des spéculateurs, mais des hommes les plus haut placés dans l’aristocratie du pays. On l’implorait à genoux dans presque toutes les grandes entreprises de chemin de fer, pour qu’il consentît à y prendre part. Énonçait-il une idée, on l’accueillait avec respect et sans examen. Pour les compagnies dont il voulait bien être le directeur, il agissait sans contrôle ; il les engageait en maître absolu dans les plus fortes dépenses sans que nul songeât à s’en plaindre. Chacun apercevait un succès assuré au bout des actes de cet adroit chef de file.

Une pareille autorité ne pouvait rencontrer de limites qu’après des revers. Comme pour étayer sa puissance absolue M. Hudson n’avait que le succès, il était condamné à réussir toujours. Une erreur de tactique, une faute de jugement devait lui devenir aussitôt fatale. Par malheur, l’exercice même d’une autorité irresponsable, toujours périlleux, l’était surtout pour un homme enivré des vapeurs de la spéculation. Un premier faux pas, qui causa quelque scandale, eut lieu à l’occasion d’une ligne fort mal posée dans le monde financier, et dont M. Hudson présidait le conseil. Pour rallier à cette compagnie la faveur du public, il imagina de supposer qu’elle avait réalisé des bénéfices, et il distribua des dividendes en les prenant sur le capital. Les ennemis ne manquant jamais de venir sur la trace des fautes, M. Hudson en vit alors quelques-uns s’inscrire contre son infaillibilité trop vantée. Des actes plus déplorables que les suppositions de dividendes furent mis à jour un peu plus tard ; alors les récriminations ne connurent plus de limites. Les faits étaient graves, il faut l’avouer. Des transactions avaient eu lieu, des marchés avaient été passés, dans lesquels le roi des chemins de fer jouait le rôle du Sosie de Plaute, tour à tour acheteur et vendeur, et se payant comme président d’une compagnie les objets qu’il avait vendus à cette même compagnie comme simple particulier. De plus, certaines sommes avaient été détournées de leur destination et employées pour son propre compte. Ce qu’il y eut de plus triste, c’est que M. Hudson publia pour se justifier une lettre dans laquelle il trouvait ces opérations toutes simples, déclarant que sa charge de président ne lui imposait pas les devoirs d’un fidéi-commissaire. Il fut cependant obligé à des restitutions, et ce fait, insignifiant comme répression pénale, n’en suffit pas moins pour produire un effet moral désastreux[1] ; le dieu fut dès lors renversé de son autel. Que l’étendue des malversations ait été exagérée, qu’on ait relégué dans l’ombre certaines circonstances qui en atténuaient un peu la gravité, cela est vrai, et c’était un retour inévitable. Il demeurait avéré néanmoins qu’au milieu d’un tournoiement continuel de spéculations poussées à l’excès, le sentiment de la délicatesse s’était singulièrement émoussé chez le coryphée du Royal Exchange. On dut reconnaître aussi que les comités de direction, manquant à leurs devoirs les plus essentiels et renonçant à tout contrôle, avaient absolument abdiqué devant lui.

  1. Voyez The Economist, Railway monitor pour l’année 1849. — Ce recueil a eu longtemps pour rédacteur en chef un des économistes les plus éminens et les plus judicieux de l’Angleterre, M. J. Wilson, membre de la chambre des communes, et qui occupe aujourd’hui un poste supérieur à la trésorerie.