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encore pavées de larges dalles, tout cela ne contient que des écuries et des hangars pour les marchandises. Quant aux voyageurs, rien ne s’oppose à ce qu’ils s’établissent pour la nuit soit entre les pieds des chevaux, soit sous leur tête, c’est-à-dire sur une estrade placée le long des râteliers.

Les abords d’Antioche sont en harmonie avec la grandeur déchue de cette ville. Des ruines de fortifications sont encore visibles sur le sommet d’une des montagnes qui ferment la vallée au milieu de laquelle s’élève l’ancienne capitale de la Syrie. L’Oronte baigne cette vallée, et, avant d’atteindre la ville, il se divise en plusieurs bras formant des îlots sur lesquels on a bâti des moulins. Des écluses, échelonnées de distance en distance, règlent le cours de ses eaux, qui servent à l’arrosement de jardins délicieux. Le repos nous attendait à Antioche, dans la résidence de l’agent consulaire anglais, riche marchand arménien, qui avait mis, avec une parfaite cordialité, son habitation entière à notre disposition. Combien il m’eût été doux de m’arrêter à Antioche! Tout m’y conviait : les ruines et les jardins, les bosquets de lauriers rosés et les fontaines sacrées. Pourtant il fallait passer outre en détournant les yeux ou se résoudre à ne pas atteindre Jérusalem avant les fêtes de Pâques. Mon parti fut bientôt pris, et quand après la première nuit passée à Antioche mon hôte vint me demander vers quel monument il devait me conduire, je l’étonnai fort en lui déclarant que je renonçais à voir les curiosités d’Antioche, et que je comptais partir le jour même.

Nous quittâmes donc Antioche sans avoir rien vu de ce qu’elle renferme; mais la providence des voyageurs, qui connaissait et appréciait peut-être mes motifs pour en agir ainsi, nous réservait un dédommagement, car elle nous conduisit vers l’un des lieux les plus célèbres et, ce qui vaut infiniment mieux, les plus beaux des environs de la ville : c’est la fontaine de Daphné, où s’élevait jadis, à quelques pas d’une source abondante et limpide, un temple dédié, je crois, à Vénus. Le soleil, déjà haut sur l’horizon, brûlait nos fronts, et nous cherchions au loin des yeux un peu d’ombrage, lorsque nous aperçûmes, couronnant le sommet d’une colline, un bosquet de mûriers et, à travers leur sombre feuillage, des masses blanchâtres de formes et de proportions diverses. C’étaient des colonnes de marbre blanc; quelques-unes étaient couchées sur le sol; d’autres, quoique tronquées, étaient encore debout: de nombreux débris jonchaient la terre. Il y avait là aussi des arbres de tout âge, depuis le laurier et l’olivier au tronc raboteux et noirci par le temps jusqu’au jeune et flexible mûrier élevant vers le ciel ses rameaux élancés comme les doigts d’une main suppliante. Les murs du temple avaient croulé, les colonnes étaient renversées, et celles qui demeuraient debout