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que s’attribuait le parti de la cour. La Prusse ressentait déjà dans ses intérêts matériels le mal que lui causaient les équivoques récentes de la politique du gouvernement. Le commerce anglais ne se servait presque plus des navires prussiens, et à Hambourg on leur imposait des primes d’assurance plus fortes qu’aux navires des autres nations. De tous côtés, les chambres de commerce envoyaient des adresses contre la politique de neutralité. En somme donc, le bruit qui s’était fait autour de l’emprunt profitait à la cause de l’Occident; les manifestations des chambres et de l’opinion publique nous étaient ouvertement favorables. Quant au gouvernement, malgré l’échec parlementaire que l’opposition s’était attiré par une manœuvre maladroite et inutile, il n’en était pas moins lié par ses déclarations, et il ne pouvait conserver d’arrière-pensées contraires à ces engagemens, sans manquer de foi à la Prusse, non moins qu’aux puissances représentées à la conférence de Vienne.

Tandis que l’affaire de l’emprunt occupait les chambres, le roi poursuivait activement ses négociations particulières avec l’Autriche et avec la Russie.

Le cabinet de Vienne et la cour de Potsdam entrèrent dans ces négociations avec des dispositions fort diverses. L’Autriche avait sérieusement travaillé, depuis la mission du comte Orlof, à conformer son action à ses principes. Elle voyait venir le moment où elle serait obligée d’intervenir dans les principautés et d’affronter une collision avec la Russie. Elle commença sur-le-champ ses armemens et ses concentrations de troupes. Pour parer à toutes les éventualités et achever de se mettre en mesure, elle avait besoin, et comme grande puissance germanique et comme limitrophe de la Prusse dans la portion de son territoire la plus vulnérable à une agression russe, de fixer nettement ses relations avec la Prusse et l’Allemagne. Elle y pensait depuis longtemps, et, comme nous l’avons déjà dit, au mois d’octobre 1853 et au mois de janvier 1854, elle avait voulu lier la confédération germanique à la politique qu’elle suivait dans la conférence de Vienne. Ces tentatives réitérées avaient échoué par le refus de concours de la Prusse. L’empereur d’Autriche avait en outre, dès le mois de février et par une lettre autographe, demandé au roi Frédéric-Guillaume sa coopération active dans la situation nouvelle que lui créaient les événemens. Les préoccupations du roi de Prusse étaient bien différentes; son plan fut dès le principe d’empêcher le cabinet de Vienne de se prononcer trop vite. Décidé à ne pas prendre lui-même une part active à la lutte, mais sentant que la Prusse, liée par ses devoirs de confédérée, serait peut-être entraînée malgré elle, une fois l’Autriche engagée, il ne songeait qu’à retenir celle-ci. Quand il eut refusé de signer la convention