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III.

Le moment avait quelque chose de décisif pour l’Italie et le Piémont. Négocier sous le poids d’une défaite, dans les conditions issues de la fatale campagne qui venait de finir, ou rentrer dans la lutte avec une armée exténuée, dont la désertion vidait les cadres, dont le ressort moral était brisé, voilà l’alternative à laquelle on ne pouvait échapper. Il eût fallu, pour se mettre au-dessus de ces difficultés, l’effort surhumain d’un patriotisme universel, imposant silence à toutes les dissensions : ce fut l’explosion de tous les élémens dissolvans qui répondit à l’appel, et fit de cette période, — de l’armistice Salasco à Novare, — une halte tumultueuse entre deux catastrophes.

Si l’on songe que la guerre de 1848 avait été un acte d’entraînement héroïque accompli pour enlever à l’esprit révolutionnaire cette grande et généreuse question de l’indépendance, et pour maintenir l’ascendant du principe modéré dans l’ensemble du mouvement italien, on comprendra que la défaite de ce principe dut redoubler l’orgueil et la violence des passions extrêmes. Les revers des armes piémontaises n’avaient rien qui pût toucher ou éclairer l’esprit révolutionnaire ; il en triomphait au contraire comme de la manifestation la plus éclatante de l’impuissance des forces régulières, de ce qu’il appelait la guerre royale, et il prêchait la guerre du peuple. Les républicains rejetés hors de la Lombardie créaient un comité d’action à Lugano. Une armée venait de fondre dans une campagne, et les sectaires de la Jeune-Italie avaient à opposer aux Croates cette toile d’araignée, — la république. M. Mazzini, qui avait prudemment quitté Milan à l’approche des Autrichiens, criait maintenant à la trahison contre Charles-Albert ; il démontrait merveilleusement comment la guerre avait échoué, parce qu’on avait laissé debout tous les princes, parce qu’on s’était fié aux modères, aux sages, aux réformateurs pratiques, aux traîtres en un mot. M. Mazzini soufflait la division et la révolte, en attendant son triomphe à Rome et à Florence.

Dans le Piémont même, les malheurs de la guerre mettaient aux prises tous les partis, et allumaient d’ardentes polémiques. Les opinions, un instant confondues dans la première ébullition de liberté, puis mises tout à coup en présence dans les discussions sur la fusion lombardo-piémontaise, commençaient à se dessiner sous les couleurs les plus tranchées. L’opinion constitutionnelle conservatrice, sous le coup des événemens, se repliait sur deux points de défense. Sans accepter comme irrévocable le résultat de la guerre, sans abandonner la pensée de l’indépendance, elle songeait avant tout à sauver le