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Ce qui étonne tout d’abord quand on se prend à étudier l’influence exercée par Shelley sur la jeune école anglaise, c’est d’avoir à constater que, peu croyant lui-même, il soit le chef d’une race éminemment attirée par la foi, sinon déjà tout à fait croyante. Cependant, en y regardant de près, l’étonnement disparaît. Il y a dans Shelley un tel luxe de qualités chrétiennes, que l’absence de foi vous choque moins encore du point de vue moral que du point de vue intellectuel et plastique. À l’entière harmonie de cette belle nature on sent que les croyances religieuses manquent, et que pieuse elle serait plus vraie, qu’on me passe l’expression, plus identique avec elle-même ; — il y a de l’inachevé là-dedans. Shelley est incomplet parce qu’il est incrédule. « On ne se rappelle pas assez, dit la veuve du poète dans sa préface de l’édition complète des œuvres de son mari, que Shelley est mort à vingt-neuf ans, que le calme de la maturité n’a point succédé chez lui à la véhémence de la jeunesse, et que le temps ne lui fut pas donné pour se compléter par certaines vertus. » Or ce qui manque à Shelley vivant, sa descendance se charge de le donner à Shelley mort. Il trouve son véritable sens dans son école, et ses disciples le complètent plus encore qu’ils ne le continuent. Un des traits distinctifs de la jeune génération anglaise, c’est l’absence d’orgueil, seule barrière infranchissable entre l’homme et Dieu. Les représentans de cette génération ne sont pas des destructeurs, mais des curieux ; graves et enthousiastes à la fois, idolâtres du vrai dans ses manifestations isolées, ils s’en servent comme d’autant de degrés pour remonter vers le vrai absolu, et ne reconnaissant qu’un seul néant, celui de la vie, ils se retournent les bras tendus vers l’ impénétrable en jetant du fond de leur obscurité cette prière : « De la lumière ! encore de la lumière ! » parole suprême du dernier des Titans, de Goethe.

« De la lumière ! » c’est le cri du siècle entier ; mais nulle part il n’a trouvé d’aussi retentissans échos qu’en Amérique et en Angleterre. Les mêmes tendances se rencontrent partout, et partout à côté de la devise mystique excelsior pourrait s’imprimer le mot earnestness, qui désigne le mélange d’activité propre à la génération nouvelle. À l’opposé de ce qui se passait du temps de ces brillans viveurs dont Byron était l’Homère, l’ironie, déversée alors sur tout ce que l’esprit humain ne saisissait pas, se réserve maintenant pour les humaines puérilités seules, pour les ambitions matérielles, les mécomptes de vanité, tout ce qui en un mot ressort du positivisme de la vie ou tient aux étroites conventions sociales. Le respect de ce qui ne s’explique pas est au contraire poussé à sa dernière limite par l’école actuelle ; toute conviction comme tout effort est en honneur chez elle. « Tu as encore le défaut de la moquerie, dit quelque part Alexandre