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cette distinction est aussi frappante : ainsi les paysans ont le teint plus foncé que les habitans des villes. On a déjà réfuté cette opinion, et démontré que le climat et la civilisation n’agissent pas d’une manière durable sur la couleur de la peau, il est évident que le teint ne peut pas plus blanchir qu’il ne peut noircir, il est même inutile de combattre sérieusement une opinion qui nous donne pour pères ceux que nous sommes habitués à regarder comme placés aux derniers rangs de notre espèce. L’humanité est en progrès, cela est vrai, mais ce ne peut être au point d’avoir transformé ainsi le genre humain. Il est difficile d’admettre que l’homme soit sorti aussi informe des mains du Créateur. Je n’ai pas une grande idée des premiers hommes, je pense cependant que, sous le rapport des formes, nous avons plutôt dégénéré. La civilisation, les arts, l’industrie, la liberté, sont d’assez beaux dons acquis pour que nous puissions consoler la vanité de nos ancêtres en leur abandonnant la beauté physique.

D’autres partisans de l’unité ont adopté un moyen terme, et pensé que celui qu’ils considéraient comme le premier homme, était rouge, de sorte qu’il avait très peu de changemens à subir dans un sens pour devenir blanc, et dans l’autre pour devenir noir. Étrange supposition ! Quoi ! ces hommes qui n’ont jamais pu être civilisés, dont le pays n’a porté cette nation dont nous admirons et envions aujourd’hui les institutions et la liberté que lorsque la race primitive avait entièrement disparu, ces hommes qui ne peuvent vivre que de la vie sauvage, que Bougner, Antonio Ulloa, La Condamine, Robertson, considéraient comme des brutes incapables d’aucun développement intellectuel, seraient les ancêtres du genre humain !

Au XVIIIe siècle, on avait inventé une théorie singulière pour expliquer les variétés humaines. Il faut se rappeler que quelques naturalistes, et George Cuvier lui-même, croient à l’éternité des germes. Ils pensent que les embryons de tous les individus, animaux ou plantes, qui ont existé ou existeront dans la suite, étaient enfermés dans l’individu primitif, et qu’ainsi Dieu, au lieu de créer chaque germe au moment où il se développera produit en une seule fois, à l’origine du monde, les germes de tous les êtres organisés. Or un physiologiste du XVIIIe siècle, appliquant à l’homme cette doctrine, a pensé que la première femme portait dans son sein les germes de tous les hommes futurs emboîtés les uns dans les autres ; mais les peuples n’étant pas tous pareils, les germes ne pouvaient pas l’être davantage, et se distinguaient dès l’origine par différentes couleurs. Ces germes se transmettraient ainsi de femme en femme, et leur nombre diminuerait chaque jour, à mesure qu’ils écloraient, de sorte qu’il pourrait arriver qu’un jour il n’y en eût plus et que le genre humain périt. Ce n’est pas tout : il résulte de cette théorie qu’il ne serait pas impossible qu’un jour la suite des œufs blancs qui peuplent nos régions venant à manquer, toutes les nations européennes changeassent de couleur, comme il ne serait pas impossible aussi que la source des œufs noirs étant épuisée, le monde entier n’eût plus que des habitans blancs. Cette conclusion seule suffirait à faire rejeter cette opinion. L’emboîtement des germes est du reste une théorie abandonnée. L’immense quantité d’ovules qu’aurait renfermés le premier individu de chaque espèce la rend matériellement