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utopie pour une réalité et voulut y asseoir un gouvernement croula sur-le-champ dans le vide.

En un mot, la question était ainsi posée : l’ancienne religion immuablement résolue à extirper tout ce qui n’était pas elle, la nouvelle sommée, au nom de son principe, de se laisser étouffer sans résister ; chez l’une l’offensive, chez l’autre la résignation. Dans ces termes, l’issue était évidente et le résultat ne pouvait se faire attendre. Si la religion nouvelle eût pris pour règle d’épargner l’ancienne, nul doute que dans un temps donné celle qui épargnait son adversaire n’eût disparu devant celle qui ne perdait pas une occasion de l’anéantir. Reprocher au protestantisme naissant son intolérance, c’est lui reprocher d’avoir voulu vivre. Il prit au catholicisme ses armes, il sut frapper comme il était frappé, et c’est ainsi qu’il donna pour base à son église l’Angleterre, la Suède, la Hollande, la Suisse, une partie de l’Allemagne et de la France. Par tout autre moyen, la réforme, bientôt réduite à un parti de sectaires chargé des opprobres de l’anathème, n’eût pu trouver un coin de terre pour s’y réfugier. Théodore de Bèze, plus littérateur que théologien, conseillait cette politique d’ascétisme. Les états de Hollande, soutenus par Marnix, furent, ce semble, des théologiens mieux inspirés. À Leyde et dans l’union d’Utrecht, ils votèrent unanimement l’interdiction de l’ancien culte, et par là ils donnèrent au nouveau le temps de croître sans péril.

Voilà comment la révolution hollandaise rompait une à une les mailles du filet dans lequel ses adversaires prétendaient l’envelopper dès l’origine, et ce qui frappe dans cette lutte, c’est le bon sens imperturbable. De quelque manière que l’on s’y prit, séduction, grâce, suffrage universel, liberté de conscience, on ne put jamais convaincre ces hommes que la logique exigeait qu’ils livrassent leur cause, qu’ils étaient engagés par leur victoire à s’avouer vaincus, et que, s’ils avaient gagné la liberté, c’était uniquement pour la perdre. Ces têtes dures se refusèrent jusqu’à la dernière extrémité à de pareilles conclusions. C’est, je pense, que ces hommes grossiers s’attachaient aux résultats et point à la lettre, qu’ils ne regardaient pas les conquêtes morales de leur révolution comme une expérience à faire, mais comme un acte de foi, une œuvre de Dieu irrévocable, inaliénable, qu’ils n’avaient pas le droit de remettre en doute ; du reste, s’inquiétant peu de paraître illogiques s’ils sauvaient la vérité, renonçant aisément au triomphe des mots, mais inébranlables sur les choses.

Dès qu’il fut évident que la réforme ne se laisserait pas extirper par le catholicisme sous le prétexte de la liberté de conscience, la pacification de Gand fut rompue au fond des cœurs[1]. On s’était

  1. Ponteficii, si nimis urgeautur, cujusvis jugum subibunt. — Languet, Epist.