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n’était pas propre à les dissiper. Doué sans doute de talens remarquables, mais dont il s’exagérait singulièrement la portée, aussi orgueilleux qu’ambitieux, d’un caractère emporté et défiant, cachant mal sous les dehors de la franchise les calculs d’une excessive personnalité, il n’avait pas tardé à exciter les soupçons des puissances alliées. Bien qu’on eût placé sous ses ordres des détachemens considérables de forces russes, prussiennes et hanovriennes, on l’accusait d’en avoir tiré très peu de parti pour le succès de la cause commune ; on l’accusait de ménager à l’excès les vingt mille soldats suédois qu’il avait conduits en Allemagne, et, ce qui paraissait plus grave, de ne pas agir contre les Français avec l’énergie qu’on était en droit d’attendre de lui. On supposait que, dans la prévision de la chute définitive de Napoléon, il entrevoyait pour lui-même la possibilité d’être appelé à régner sur la France, et qu’il voulait éviter d’affaiblir cette chance en portant de trop rudes coups à ses anciens compatriotes, en ruinant ainsi ce qu’il pouvait conserver encore de popularité parmi eux. Ces conjectures avaient pris assez de consistance pour que les commissaires accrédités à son quartier-général par les cours alliées eussent cru devoir lui adresser de sérieuses remontrances sur la lenteur de ses opérations militaires. Ces remontrances, dont il ne pouvait se dissimuler la pensée secrète, avaient été pour lui l’occasion des plus violens emportemens. Il se plaignait, de son côté, et non pas sans raison, de ne pas obtenir une pleine obéissance de la part des généraux prussiens qu’on lui avait subordonnés en apparence. Stimulé par les soupçons dont il se voyait l’objet, il avait fini par passer l’Elbe, et son apparition sur le champ de bataille de Leipzig, en détruisant toute proportion de forces entre les deux armées, avait décidé la victoire, jusqu’alors incertaine ; mais depuis il était retourné dans le nord pour surmonter la résistance du Danemark, qui se refusait à lui abandonner la Norvège, et on lui reprochait de détourner à son profit exclusif, d’annuler par conséquent pour la cause européenne, l’action de quatre-vingt mille soldats placés sous son commandement. Le Danemark ayant enfin accédé aux conditions si dures que lui faisait la coalition, Bernadotte s’achemina lentement vers le Rhin. On eût voulu qu’il se portât sans retard sur la Belgique, où quelques milliers de soldats français admirablement commandés par Maison et Carnot soutenaient seuls, par des prodiges de courage et d’habileté, la fortune de la France ; cette fois encore, on le vit hésiter et perdre un temps précieux en mouvemens insignifians, en explications diseuses. Des indices non équivoques prouvaient que son unique préoccupation était alors de se créer en France des intelligences. Il régnait contre lui une grande irritation dans les conseils de l’alliance. M. de Metternich surtout ne pouvait contenir l’impatience qu’il éprouvait