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le rhythme bizarre lui fit tourner la tête vers la cheminée. Sur chacun des genoux du vieillard à la cicatrice, il vit chevaucher un enfant au teint vermeil, un petit garçon et une petite fille, et c’était sur l’air de la chanson que le grand-père faisait marcher la cavalcade.

Le jeune soldat eut bientôt fait connaissance avec tous les habitans de la ferme. Il trouva de si douces jouissances au milieu de ces bonnes gens qui semblaient tous unis les uns aux autres par un même lien d’amour et de reconnaissance, qu’après deux mois de séjour il ne put s’empêcher de pleurer, quand il se vit obligé de prendre congé de la paisible et heureuse famille qui l’avait reçu et aimé comme un fils. Au moment où, le sac sur le dos, il allait partir, tous les gens de la maison vinrent sur la porte et lui tendirent encore une main amicale ; lui, les yeux humides, prit le chemin de la bruyère, et, se retournant à quelque distance, il cria d’une voix émue : — Adieu, colonel van Milgem ! adieu, Jean Daelmans ! adieu, fermière ! adieu, mère Teerlinck ! adieu !

Arrivé dans la bruyère, le soldat se dit à lui-même : — Si j’étais romancier ou poète, je ferais un livre de cette charmante histoire… Qui sait ? Peut-être le serai-je un jour… Ta, ta, ta, folie !

Il accéléra le pas et poursuivit sa route sur le rhythme d’une chanson qu’il avait sans doute apprise à la ferme. Il chantait :

Rikke-tikke-tak
Rikke-tikke-tou !
RiForgerons,
RiEn cadence,
Forgerons, frappons !
Le fer rouge lance
L’étincelle, et bout.
Rikke-tikke-tou !

Rikke-tikke-tak
Rikke-tikke-tou !
RiFaçonnons
RiLe fer rouge
En bons forgerons,
Et que nul ne bouge
Avant l’œuvre à bout !
Rikke-tikke-tou !

Vous voyez sans doute, cher lecteur, que le jeune soldat a tenu sa promesse.

Henri Conscience.

(Traduit par M. Léon Wocquier.)